04 Jan 23

11 raisons d’être optimiste pour le cinéma en 2023

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La période de passage à l’an neuf est traditionnellement celle des marronniers journalistiques. Parmi ceux-ci, les plus persistants sont les bilans, les fameuses listes, suivis de très près par les prédictions et prospectives.

Ce n’est pas vraiment ce à quoi je veux m’atteler pour cette chronique, mais plutôt à repérer, dans l’existant, dans le déjà-là, ce qui nous donne des raisons d’espérer, et donc d’agir, pour l’année qui vient.

Je me contenterai aussi de parler de la situation nationale. Pas de discours sur les grandes plateformes, donc, sur les stratégies de Disney après le retour de Bob Iger aux commandes. Il y aurait beaucoup à dire, mais il faut garder cette chronique dans les contraintes qui sont les siennes.

J’explorerai les 4 domaines principaux de l’industrie: production, distribution, exploitation et promotion.

Production

Les premières années 2020 ont vu la RTBF atteindre un nouveau plateau en termes de production, et 2022 en a donné la preuve dans plusieurs domaines.

  1. Leur stratégie de production de séries est rentré dans sa deuxième phase. La première vague de séries, entamée avec La Trève, Ennemi Public et Unité 42 entre autres, a installé la base pour structurer l’industrie. Ces premières séries ont dû affronter des conditions de production complexes, et probablement intenables sur le long terme. Mais elles ont pavé la voie pour des projets plus ambitieux dont on a pu voir les résultats dès 2022. Des séries comme Pandore et Des gens bien ont relevé le niveau d’un point de vue artistique et productionnel. 2023 s’annonce plus ambitieux encore avec l’arrivée de la coproduction belgo-belge 1985, sur les tueries du Brabant, ainsi que la première incursion dans ce qui ressemble le plus à une fiction de flux avec Trentenaires, remake francophone de la série flamande Dertigers. Les sources de financement des séries se diversifient et ces séries démontrent qu’il y a un moyen de les rendre financièrement viables si pas, de plus en plus, bénéficiaires.
  2. Le 22 décembre 2022, le Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a validé le nouveau contrat de gestion de la RTBF pour les 5 années à venir. A ce stade, difficile encore de connaître la teneur exacte de ce contrat, mais un article publié par la RTBF elle-même en donne un résumé. Le titre donne l’ampleur de l’ambition : “rester la première entreprise culturelle francophone”. Je reviendrai dans une autre chronique sur la teneur complète de ce contrat de gestion, sur lequel il y a beaucoup à dire. Je me concentrerai ici sur le point qui nous intéresse le plus, le soutien à la production indépendante. Pour 2023, la RTBF devra consacrer 3.9% de sa dotation au soutien à la production indépendante, soit 12.012.439€. Cette dotation augmentera d’année en année, pour atteindre 5.75% en 2027, ce qui équivaudra à environ 18 millions d’euros, sans compter l’éventuelle indexation. Sachant qu’une partie du financement des séries provient d’une autre enveloppe de la Fédération, cela laisse de la marge pour la recherche et développement.
  3. Justement, ce qu’on pourrait appeler le département recherche et développement vient de se restructurer, sous une nouvelle appellation, le département “Nouvelles Ecritures”. A ce titre, le contrat de gestion déclare les enjeux dès son introduction: la RTBF "s’adresse à tous les publics et investit tous les supports et toutes les plateformes". Ce qui laisse entrevoir non seulement un investissement dans d’autres formes d’écriture mais aussi dans d’autres formes de diffusion. Même si l’article ne le cite étrangement pas, on pense évidemment en priorité à Youtube.
  4. J’en parlais dans la précédente chronique, il y a deux manières d’envisager le futur de la télévision. Et, à en croire les déclarations de la Directrice des Contenus, Sandrine Roustan, la RTBF a fait son choix. Elle se focalisera surtout sur la création et la monétisation de propriétés intellectuelles sur le marché international. Cela devrait avoir deux conséquences : la focalisation sur la création de nouveaux contenus originaux, que ce soit dans la création comme dans les émissions de flux (le succès, en fin d’année, du nouveau concept La Yourte, est un premier pas dans cette direction) et un travail de fond sur la promotion de l’image de marque “RTBF” à l’international. Cela place forcément la RTBF aux avant-postes de la création audiovisuelle en Belgique Francophone.

L’année de l’éveil de la concurrence ?

2022 aura aussi été l’année de la concrétisation du rachat de RTL Belgique par le consortium Rossel-DPG Media. Nul doute que 2023 verra les premiers effets d’un plan de redéploiement de l’offre de la chaîne privée. Difficile encore d’y voir clair sur ce front. Le Groupe RTL reste à ce jour une entreprise de droit luxembourgeois, qui ne tombe donc que dans une moindre mesure dans les obligations de la Fédération, notamment en terme de production.

Il n’empêche. La sortie de RTL Belgique du groupe M6 Bertelsmann lui coupe l’accès privilégié, ou en tous les cas facilité, à une série d’émissions-phares de M6, dont elle fait une grande partie de sa programmation. Elle va devoir, elle aussi, augmenter ses capacités de production propres. La présence de DPG dans son actionnariat, détentrice des chaînes flamandes de la galaxie VTM, lui donne un avantage certain sur ce domaine. Et on pourrait éventuellement voir arriver chez nous des projets de fictions de flux, sur le modèle de Familie ou Thuis.

Qui plus est, le Fonds des Séries de la Fédération Wallonie Bruxelles peut lui ouvrir ses portes. Quand on sait que Bibiane Godfroid, ancienne du groupe Newen qui a produit entre autres plus Belle La Vie a été engagée comme consultante par la nouvelle direction, il y a de fortes chances pour que ce type de projet se concrétise rapidement.

D’un point de vue stratégique, RTL sera donc à surveiller de près cette année.

Comme une envie de populaire

Il n’y a pas qu’en télé que les changements se font sentir. En tout cas dans les discours. L’administration du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles ne s’en cache plus : elle a furieusement envie de comédies.

Evidemment, ce genre d’assertion est à prendre avec de très, très fines pincettes. Car il faut tout d’abord s’entendre sur une définition de ce qu’est une comédie. On se souvient avec douleur du début des années 2000 où le concept à la mode était “l’incursion dans le fantastique”, ou de la façon dont la notion de “film de genre” est rentrée au chausse-pied dans une pléthore de scénarios d’auteurs. Ou encore comment le giallo, ce genre italien qui mixe violence, esthétisme et érotisation, est aujourd’hui cité par tous les étudiants libidineux sortant des écoles de cinéma.

On peut aussi soupçonner que cet intérêt renouvelé pour la comédie est surtout une envie de voir enfin des succès commerciaux sortir de nos boîtes de production. C’est une ambition des plus louables, mais cette focalisation sur la comédie comporte un risque, celui de vouloir singer la comédie française. Qui, il faut bien l’avouer, n’est pas un exemple d’inventivité ni de subversion.

Enfin, ce désir devra malgré tout se confronter à la réalité institutionnelle. La structuration en commissions des financements publics apporte certes les meilleures garanties démocratiques. Mais elles sont aussi, de fait, par la force de l’institution elle-même, de puissantes machines de lissage. Les comédies, comme toutes les formes de cinéma populaire, y partent avec le désavantage ontologique qu’elles sont un jeu avec les codes, avec la bienséance esthétique. Avec, soyons directs, l’esthétique bourgeoise.

Il y a donc lieu de se réjouir de ce nouvel intérêt, au moins en paroles, pour le cinéma populaire. Intérêt qui n’est d’ailleurs pas le seul fait de notre Fédération. Mais il convient de rester prudent, et de surveiller sa concrétisation en actes.

Distribution

La distribution est probablement le maillon de la chaîne qui a eu le plus à souffrir de ces années de crise. Et elle a donc été amenée à se réinventer plus vite que tout autre. Et, même si cela ne saute pas aux yeux, du changement, il y en a eu. Ou plutôt, l’accélération d’une tendance lourde : la spécialisation. Cinéma d’auteur, productions nationales, comédies françaises, cinéma d’animation, documentaires. La segmentation devient de plus en plus visible. Bien sûr, tout cela n’est pas que stratégique, il faut aussi compter sur les effets de bord. Les partenaires internationaux, notamment français, se spécialisent eux-mêmes, entraînant leurs clients belges dans leur sillage. Néanmoins, cette spécialisation, je le répète souvent, a du bon, dans la mesure où elle permet de développer une stratégie de marque, d’identifier et entretenir avec plus de précision un public-cible. Toutes choses qui sont d’une importance capitale dans le marketing digital, qui plus est à l’approche de la fin des cookies tiers, où les données propriétaires deviendront indispensables.

2023 devra, par la force des choses, être l’année de consolidation de ces transformations. Les distributeurs sont les porteurs, de fait, de la stratégie de promotion des films. Les bouleversements de la presse traditionnelle, dont je reparlerai plus loin, et des canaux de promotion en général, devront, à n’en pas douter, amener à prendre des choix stratégiques. Fragilisés, certains seront sans doute devant une alternative aussi simple qu’angoissante: s’adapter ou mourir.

Exploitation

Malgré la crise profonde, et la baisse sévère du nombre de spectateurs, l’exploitation reste à mon sens l’un des secteurs les plus dynamiques de l’industrie. L’industrie du cinéma s’est profondément métamorphosée avec un écart qui se creuse toujours plus entre blockbusters et ce qu’on appelle de manière très générique le cinéma d’auteur. Les distorsions sont de plus en plus criantes. Il y a quelques mois à peine, on pouvait voir un paysage désertés de blockbusters, alors que les bilans de fin d’année ont fait émerger une série de cartons dévastateurs.

Au point que nos voisins Français, toujours aussi amateurs de psychodrames, ont accueilli avec effroi la nouvelle qu’aucun film français n’atteignait le top 10 du box-office cette année. Alors que, dans le même temps, la part du cinéma national dans le box-office global repassait devant le cinéma US.

Certes une poignée de films raflent les médailles. Mais derrière, la masse discrète gagne des points.

Small is beautiful, again

Pour l’exploitation en elle-même, cet état de fait redynamise le réseau des salles indépendantes. En France toujours, une valse de rachats, de nouvelles ouvertures de salles dans de très petites agglomérations ont émaillé les derniers mois de l’année.

Chez nous, on en est encore aux frémissements, mais des salles rouvrent, sont reprises et animées par des passionnés. Alors que les multiplexes font le pari de la premiumisation et de la diversification vers l’esport ou l’événement sportif et culturel, on peut faire le pari d’un retour de la petite salle, de la curation de la programmation. Le rapport du CNC dont je faisais état il y a quelques mois démontrait le dynamisme des salles de province, dans les agglomérations françaises de 20.000 habitants ou plus.

Il y a en Belgique 150 communes entre 20 et 100.000 habitants, 130 entre 20 et 50.000. Etant donné la densité de la population en Belgique par rapport à la France, la comparaison s’avère hasardeuse. Mais si on se tourne vers les Pays-Bas, on se rend compte qu’il reste un énorme potentiel de développement dans de plus petites structures, plus locales. Des cinémas de quartier, dans un premier temps, mais aussi des réimplantations dans de petites agglomérations.

Et puisqu’on vient de faire un détour par la Hollande, il y a lieu de mentionner l’importation chez nous de la carte Cinéville, qui réplique le succès hollandais. Lancée courant 2022, elle a déjà réussi un solide exploit, réunir des salles que tout désignait comme concurrentes à Bruxelles. Il y a encore un énorme chemin à faire, en terme de promotion, de communication, de dynamisation de la communauté pour atteindre le niveau d’excellence du modèle hollandais. Mais le potentiel d’extension de cette offre, son pouvoir de structuration de l’industrie, en font l’un des projets les plus excitants de l’année, voire des années à venir.

Promotion

C’est, peut-être, l’un des point sombres du tableau, là où il est le plus difficile d’être optimiste. La presse cinéma, comme toute la presse culturelle, a du mal à trouver un second souffle. Le vieux modèle de la recommandation issu d’une époque où l’information était plus rare, est dépassé. Reléguée au fond des rédactions, dans les tréfonds des programmes radio et carrément éradiquée de la télé, la critique ciné est aussi régulièrement attaquée, pas toujours à tort, il faut bien le reconnaître, pour son conservatisme pompeux.

Le discours sur le cinéma, néanmoins, est pléthorique, mais part souvent sur des formules toutes faites, à succès: le top-flop, les anecdotes et la polémisation à outrance.

En clair, la promotion indirecte, dite gratuite, celle qui fonde les communautés de cinéphiles, a sérieusement du plomb dans l’aile.

Mais il ne faut pas oublier que 2022 a vu l’arrivée d’un magazine de cinéma, Surimpressions. Un vrai magazine, en papier, ce qui relève en soi du défi en pleine crise des matières premières. D’autre part, des initiatives diverses existent, qui explorent d’autres manières de parler de cinéma. Pour n’en citer que quelques-unes, parmi les plus intéressantes : le site Le Rayon Vert, le chaîne Cinecast, les articles des Grenades sur le site de la RTBF, l’application Cinemapp. Et je m’en voudrais de ne pas citer le doyen de la bande, le site Cinopsis, 26 ans au compteur et toujours vaillant.

Si espoir il y a, c’est de voir une convergence entre ces initiatives. Développer une multiplicité de points de vue, de formats, de manière d’interagir, de parler, d’aimer le cinéma. De s’en amuser, parfois. Le tout avec l’idée de remettre le cinéphile au centre des débats. D’offrir aux distributeurs et producteurs une manière de retoucher un public.

La mise en commun de toutes ces compétences, pourquoi pas sous l’égide de l’offre Cinéville, est ce petit brin d’optimisme qu’on peut apporter à la cinéphilie.


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