18 Oct 23

John Carpenter, cinéaste en télétravail

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John Carpenter est de retour. 

D’emblée, on va calmer nos ardeurs. Si Carpenter est de retour à la réalisation, il ne faut pas s’attendre à l’un de ses anciens opus.

De fait, cela fait près de 20 ans qu’on n’attend plus rien de vieux maître.

Dans le cas qui nous occupe, il produit une série anthologique pour le streamer Peacock, dont il réalise l’un des épisodes. La série s’appelle Suburban Screams, c’est de la fictionnalisation de faits divers, et à en croire les premiers retours, ce n’est pas très bon.

Un prolo du cinéma

Pour les rares d’entre vous qui ne connaîtraient pas Carpenter, le bonhomme n’est pas seulement l’une des figures de proue du cinéma de genre des années 80. C’est aussi l’un des derniers représentants américains d’un cinéma prolétaire.

Ses héros sont des ouvriers, des chômeurs, des prisonniers. Pas des gens de la middle class. Et plusieurs de ses films, comme They Live ou Escape from New-York, avaient un sérieux penchant anarchiste.

Mais surtout, Carpenter est un cinéaste qui applique cette éthique ouvrière à son travail. Il se considère lui-même comme un ouvrier.

C’est pour cela que reprendre des nouvelles du vieil homme ronchon est toujours un plaisir.

Carpenter est aujourd’hui presque un ermite. Il préfère faire de la musique avec son fils, jouer aux jeux vidéo, éditer des comics et regarder du sport à la télé que de faire ou parler de cinéma.

Le cinéma sans filtre

Il est largement revenu de ses illusions sur l’industrie et n’a plus vraiment quelque chose de positif à en dire.

Il n’empêche que l’article que lui consacre le LA Times à l’occasion de la diffusion de sa série est intéressant à plus d’un titre.

Peut-être avant tout parce que Carpenter a une vision nette et tranchée sur l’industrie d’aujourd’hui.

Ainsi, quand on lui pose la question de savoir si cela le dérangerait de voir un film qui imiterait son travail, créé par une IA, sa réponse tient en deux questions : est-ce que le film sera bon ? Est-ce que je toucherai des dividendes ?

Cela peut paraître d’un cynisme sans nom si on ne gardait pas un peu de distance sur ce qu’est devenue l’industrie hollywoodienne.

Carpenter est sans doute le mieux placé pour savoir que toute l’industrie actuelle est une question de propriété intellectuelle. Il est une figure tutélaire d’un des pans de la cinématographie les plus rentables du moment, les films d’horreur. La licence Halloween qu’il a initiée il y a quarante ans, continue à lui rapporter des royalties à chaque nouveau film. Films dont il continue par ailleurs à composer la musique.

En télétravail, comme tout le monde

Carpenter lui-même est devenu une IP, une licence en quelque sorte. Il sait que son seul nom a une valeur sur le marché contemporain du cinéma. Et que c’est son nom, sa signature plus que son savoir-faire, qui est valorisé aujourd’hui.

Et il ne s’en leurre pas. La série à très petit budget qu’il produit ne porte son nom que pour des raisons commerciales.

D’ailleurs, si il a accepté d’en réaliser un épisode, il l’a fait depuis … son fauteuil, alors que le tournage se déroulait à Prague.

L’écran de son bureau streamait en direct les images des caméras sur le plateau, et il donnait ses instructions à un assistant sur place.

Ici aussi: cynisme et fainéantise d’un vieux cinéaste ? Ou adaptation à la réalité du monde ?

Si l’on prend au sérieux l’hypothèse que Carpenter considère son travail de cinéaste comme celui d’un ouvrier, c’est la deuxième solution qu’il faut privilégier.

Considérer un cinéaste comme un ouvrier, c’est aussi admettre que son travail, sur un plateau, est celui d’un chef de chantier. Il donne les instructions, coordonne l’équipe. Mais il ne produit, à strictement parler, rien.

Fin des auteurs, domination des IP

Si son absence sur le plateau permet d’éviter une dépense substantielle sur un budget restreint comme c’est le cas ici, cette décision est une pure décision économique.

Il faut bien sûr, pour cela, abandonner toute la pompe de l’auteur omniscient. Et c’est ce que dit en creux Carpenter quand il répond à la question de savoir comment il a instillé l’angoisse dans l’épisode qu’il a signé.

Cette réponse est comme toutes les réponses de cette interview, courte et purement factuelle : ils ont trouvé une excellente actrice, qui a effectué 90% du travail.

Alors évidemment, on pourrait dire beaucoup de choses de ce choix fait par Carpenter. Et il est peut-être critiquable par bien des aspects.

L'industrie, vue d'en bas

On peut se demander pourquoi le vieux maître de l’horreur s’est embarqué dans cette entreprise qui ne rend pas justice à son talent. Mais la réponse est juste trop évidente pour qu’on la prenne en compte. Il a eu l’argent et il l’a fait. Comme énormément d’autres cinéastes avant lui, il a fait un travail alimentaire.

La différence est qu’il l’a fait selon ses propres termes. Dans un rapport de force entre le capital et le travail.

Ce choix s’adapte tout simplement à une réalité économique mais surtout industrielle. Le réalisateur, pas plus que l’acteur, n’est plus le centre de gravité de la qualité d’un film aux yeux des studios. Que ce soit pour le cinéma, la télévision ou les plateformes.

C’est en tant que maître de l’horreur (en partie autoproclamé) que Carpenter est sollicité. Pas en tant qu’artisan ni même auteur. Dans ces conditions, il adapte ses exigences à la nouvelle donne. Il troque la reconnaissance de son savoir-faire - qui n’est de toute façon de plus aucune valeur intrinsèque - contre du confort.

Il agit en ouvrier qui négocie face au capital. En fonction de que celui-ci avance, c’est tout ce qu’il est prêt à donner. Et Peacock s’en contente.

Cette histoire, aussi triste qu’elle puisse paraître, n’est que le pendant au bas de l’échelle des menées du cinéma de licence, que ce soit Marvel, DC, Barbie, Nolan ou les autres.

Parce que, même à Hollywood, il y a des prolos du cinéma. Et Carpenter en fait partie.


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