12 Fév 25

Le “poids” de l’audiovisuel en termes d’emploi

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Cela ne se voit pas forcément de l’extérieur, mais il y a un parfum de grandes manoeuvres dans le secteur de l’audiovisuel en Belgique.

Entre les changements de gouvernements à tous les niveaux de pouvoir, les bilans des plans de gouvernance culturelle et un possible nouveau remaniement du processus de Tax Shelter, chacun fourbit ses armes pour défendre le secteur.

Et c’est à ce titre que l’UPFF +, l’organe représentatif des producteurs belges francophones sort officiellement du bois en révélant l’étude qu’elle a transmise aux divers organes de tutelle de l’audiovisuel.

Que dit cette étude ? Etrangement, elle n’est, à l’heure d’écrire ces lignes, toujours pas disponible sur le site de l’UPFF.

2500 emplois directs en Belgique

Mais l’association en a donné la primeur au journal Le Soir, qui en a fait un long compte-rendu. Un article dont le titre donne le ton : Le cinéma belge francophone pèse 3.200 emplois.

Alors, commençons tout de suite par calmer nos ardeurs : ces 3.200 emplois concernent les emplois directs et indirects créés par le secteur. Si l’on s’en tient aux stricts emplois directs, nous en sommes à 1.224 emplois créés par le secteur en Belgique Francophone et 1.218 en Flandre. Bref, le secteur de l’audiovisuel emploie environ 2.500 équivalents temps plein. Mais il y a en fait beaucoup plus de monde effectivement actif dans le secteur puisque ces métiers sont évidemment ponctuels.

Si on y ajoute les emplois indirects, c’est à dire chez les prestataires de service (les loueurs de matériel, service de catering, services de post-production, etc), on peut ajouter 4.000 équivalents temps plein pour toute la Belgique.

Il faut savoir cependant que cette étude ne prend en compte que la production audiovisuelle dite “de stock”, par opposition à la production de flux, qui est celle de la télévision par exemple, avec ses émissions récurrentes : journaux télévisés, magazines, jeux, etc. Nos deux chaines communautaires emploient ainsi à elles seules 2300 personnes. Et cela ne compte pas les chaînes locales, les autres chaînes privées, comme BeTV, etc.

Néanmoins, cela fait du secteur un tout petit poucet dans l’activité économique belge, si on le compare par exemple au secteur automobile, qui engagerait encore aujourd’hui environ 50.000 personnes en Belgique, constructeurs et équipementiers confondus. C’est 12x plus.

Un secteur trop aidé ?

Mais c’est par contre un secteur nettement moins gourmand en aides diverses. Prenons les dotations des divers fonds qui financent l’audiovisuel (les fameux “guichets”) : le Centre du Cinéma a mis à disposition, en 2023, une enveloppe globale de 43.15 millions d’euros (dont 18,5 provenait des éditeurs et distributeurs de services), les fonds régionaux disposent eux d’enveloppes de 6.5 millions pour Wallimage et de 3 millions pour Screen Brussels. C’est donc moins de 50 millions d’euros qui sont mis à disposition pour la production audiovisuelle en Belgique Francophone. Sachant tout d’abord que tout cette argent ne va pas à la production cinéma et ensuite qu’il s’agit d’aides remboursables au prorata des recettes du film.

Ce à quoi il faut ajouter bien sûr la niche fiscale du Tax Shelter, qui engrange à elle seule plus de 200 millions d’euros d’investissements. Ce qui est plutôt pas mal, mais n’est pas destiné qu’au seul audiovisuel, puisque le régime est aussi ouvert au théâtre et au jeu vidéo. Et rappelons qu’il s’agit d’investissements privés, eux aussi remboursables, sur lequel l’Etat consent une déduction fiscale.

Enfin, il y a les coproductions avec des organismes parapublics comme la RTBF, qui sont de l’ordre de 13 millions aujourd’hui.

C’est donc, en comptant large, une enveloppe de 150 millions d’euros qui sert à financer l’audiovisuel de création en Belgique. C’est pas mal. Et on peut se dire que c’est beaucoup, vu la petitesse du secteur.

Comparaisons

Mais revenons à notre comparaison avec le secteur automobile. Qui est donc 12x plus gros en termes d’emploi.

Or, c’est un secteur lui aussi fortement aidé. Notamment par des aides à l’achat très généreuses. La principale est le système des voitures de société, qui représentent pas moins de 15% du parc automobile belge. Il est évidemment très difficile de connaître le coût pour la collectivité d’une telle mesure, puisqu’elle dépend de beaucoup de critères. Mais des études existent néanmoins, qui chiffrent le coût pour l’Etat des voitures de société dans une fourchette allant de 1.5 milliards à 3.7 milliards d’euros.

Celle qui est considérée comme la plus réaliste prend en compte les chiffres de 2016, et estime le coût de cette aide à 2.3 milliard d’euros. Sachant qu’entretemps le prix des voitures concernées a augmenté de 30% rien qu’entre 2021 et 2024, on peut se dire que cette somme doit aujourd’hui approcher les 3 milliards. C’est 20 x plus que toutes les aides au cinéma. Et c’est sans compter sur toutes les autres aides au secteur, les dépenses externalisées, etc, etc.

Un chiffre qui correspond peu ou prou à l’analyse de l’UPFF+, qui annonce un ratio d’emploi par million d’Euros investis par les pouvoir publics presque double dans l’audiovisuel que dans d’autres secteurs industriels.

En clair, l’investissement dans le cinéma est l’un des meilleurs pour le PIB. Indépendamment du succès des films en salles.

Forces et faiblesses

Vous trouvez que cette comparaison avec le secteur automobile est tirée par les cheveux ? Laissez-moi encore quelques temps pour la prolonger.

Parce que l’autre partie de l’étude de l’UPFF a des conséquences bien plus inquiétantes. Si la situation de la production belge francophone a l’air florissante, avec même des pénuries d’emploi en Wallonie, la question de la pérennité de cet emploi est bien plus délicate.

C’est qu’en effet le cabinet Deloitte, en charge de l’étude, a estimé que plus de 70% des productions audiovisuelles tournées en Belgique francophone étaient des productions étrangères, avec un financement minoritaire belge. C’est le rapport inverse de la France (83% de productions majoritaires nationales) ou du Royaume Uni (78%).

Là où c’est problématique, c’est que cela met l’audiovisuel belge dans une position de faiblesse structurelle. Si ces productions majoritaires étrangères choisissent la Belgique comme partenaire, ce n’est pas que pour la beauté de nos paysages, l’excellence de nos travailleurs, ou notre gastronomie. C’est pour l’avantage financier. Notre système permet de trouver facilement du financement, sans contreparties trop contraignantes.

Et dans ce cas de figure, il suffit qu’un autre pays propose un modèle plus avantageux que le notre, dans un petit jeu de dumping fiscal dont l’Union Européenne a le secret, pour que cet avantage s’effondre.

La dépendance, encore et toujours

Pire, le système que tout le monde nous envie, le Tax Shelter, est ainsi fait qu’il est plus avantageux de produire minoritairement que majoritairement. Ce qui n’incite pas les producteurs à privilégier les projets locaux.

En d’autres termes, la santé de notre système de production dépend en très grande partie de décisions que nous ne maîtrisons pas.

C’est là que le parallèle avec l’industrie automobile devient intéressant. Car l’emploi dans le secteur automobile est en chute libre depuis au moins 20 ans. Les usines d’assemblage ont fermé à un rythme soutenu, et continuent de le faire. Si bien qu’une grande part de ces emplois ne concerne plus aujourd’hui la construction automobile, mais la sous-traitance, la construction de pièces détachées.

Le danger que pointe implicitement l’étude de l’UPFF, c’est un avenir semblable pour notre industrie audiovisuelle. Un avenir de sous-traitance, où la propriété intellectuelle ne nous appartient pas. Où le moindre soubresaut à l’étranger (par exemple, en France), a des conséquences directes sur notre industrie. Où, malgré notre savoir-faire, notre productivité et nos incitants, nous ne ferons pas le poids, pour des raisons économiques. Où la fuite des talents sera encore multipliée.

Et, en quelque sorte, nous sommes déjà traités comme de simples sous-traitants. Il suffit de voir la différence de traitement des plateformes entre nos voisins directs (France, Allemagne) et notre petit pays.

La solution, vous me voyez venir, c’est une plus grande autonomie. Développer plus de productions majoritaires. Garder plus de contrôle sur nos propriétés intellectuelles.

Pour cela, il faut certes, comme le signale l’UPFF (un peu) plus de moyens. Mais surtout une redirection des moyens disponibles pour qu’ils encouragent la productions d’oeuvres locales. C’est aussi comme cela qu’on encouragera une certaine prise de risques, nécessaire à la création d’oeuvres aux ambitions plus commerciales.

Et, on l’a déjà vu, peut-être que le moment propice, c’est maintenant.

Thibaut Dopchie

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