Nous sommes à la mi-mars, et comme tous les ans à cette période, les festivals de cinéma s’enchaînent voire empiètent les uns sur les autres sur le petit territoire belge. Alors que le festival Anima s’est clôturé début du mois à Bruxelles, celui de Mons vient lui aussi de se terminer, et l’Offscreen continue toujours à Bruxelles. Et cela en attendant les Festival du Film Fantastique, du court métrage, et tant d’autres.
Pourtant, il y a belle lurette que la presse mainstream ne s’intéresse plus que marginalement aux festivals, si ce n’est quand une personnalité en promotion y fait un tour. Elle préfère aujourd’hui largement tartiner sur les cérémonies de remises de prix, même les plus anecdotiques, et sur les polémiques qui les émaillent.
Il est donc utile de se poser la question : pourquoi une telle pléthore de festivals ? Réussissent-ils encore à événementialiser la découverte de films ? Et est-ce d’ailleurs vraiment le rôle qu’ils s’assignent ?
Les catégories de festivals
Pour cela, il faut d’abord s’atteler à catégoriser les festivals de cinéma. Il existe déjà une catégorisation internationale officielle des festivals, en fonction de leur importance pour l’industrie. Mais ce n’est pas de cette catégorisation qu’il faut partir si on veut rendre compte de la myriade de festivals sur nos territoires.
Les festivals professionnels
Si certes, il faut bien parler de ces mastodontes que sont Cannes, Venise, Berlin, Sundance ou Toronto, c’est que la première catégorie de festivals que je voudrais mentionner tentent de s’inscrire dans leur sillage. Il s’agit de festivals à la thématique généraliste, ou très large (comme la Francophonie pour Namur), qui cherchent avant tout à être des lieux de rendez-vous professionnels. Ils sont largement soutenus par des élus locaux, qui cherchent à placer leur ville comme hub professionnel, mais aussi par des pouvoirs publics plus centralisés, qui y voient un moyen à la fois de faire rayonner leur propre cinématographie, et de structurer la profession. D’autre part, les structures professionnelles elles-mêmes sont fort impliquées dans ces festivals, y (co-)organisant événements, colloques et forums.
Enfin, ces festivals s’organisent surtout, pour les professionnels, autour de soirées de socialisation entre happy few, qui n’ont d’autres ambition que de se compter entre membres du petit champ du “monde du cinéma belge”.
Les festivals thématiques
L’autre catégorie de festivals est celui des festivals thématiques. Ce qu’on entend par thématique est soit un genre cinématographique clairement identifié (le fantastique, l’animation) soit visant une communauté particulière (la communauté LGBT, les films méditerranéens, …). Ce sont des festivals qu’on pourrait appeler “à billetterie”, c’est à dire que leur principale source de revenus reste la vente de tickets pour les séances. Ils sont bien sûr subsidiés par ailleurs, mais la vente de tickets, à prix plein, reste la source de leur équilibre financier. Malgré leur taille parfois assez impressionnante, comme le BIFFF, cela reste donc, aussi, les festivals les plus fragiles économiquement, où la programmation doit répondre à des critères assez stricts et une connaissance fine des goûts de sa communauté.
Les festivals touristiques
Enfin, la troisième catégorie de festivals sont ceux qu’on appellera les festivals touristiques ou associatifs. Ce sont ces festivals à la thématique parfois baroque (l’amour, l’histoire, la santé, l’alimentation, le “film qui dérange”). Leur impulsion vient de deux axes principaux : soit la conjonction du pouvoir politique local, souvent adjoint au multiplexe du coin, soit un mouvement associatif.
Pour les premiers, l’idée est de créer une activité culturelle dans leur ville à un moment un peu “creux” du calendrier : faire venir quelques personnalités, souvent françaises, souvent dans leur tournée de promotion, et créer quelques événements publics histoire de remplir les salles du multiplexe en question. Et générer de l’activité économique, pour ce même multiplexe, mais aussi pour le secteur hôtelier et horeca. L’ambition, ici, n’est pas de vendre des places, mais de remplir les salles, ce qui n’est pas exactement la même chose. La plupart de ces événements fonctionnent avec un système d’abonnement qui rend le prix de la place ridiculement bas, et économiquement quasi-négligeable dans le mix de financement. Certains festivals se soucient d’ailleurs tellement peu de cette billetterie qu’acheter un billet normal devient un vrai chemin de croix.
Les festivals associatifs fonctionnent peu ou prou sur le même modèle, mais pour d’autres raisons. L’important, ici, est la visibilité qu’apporte l’événement et surtout les débats, rencontres, colloques que les films peuvent susciter.
Dans les deux cas, on l’a compris, l’ambition première n’est pas à proprement parler la cinéphilie.
Notons que cette catégorisation n’empêche pas une zone de flou entre elles. Des festivals thématiques peuvent avoir un volet professionnel, tout comme les festivals touristiques avoir quelque moments de gloire en terme d’audience et de réputation.
Mais, avec cette catégorisation économique, on le voit, c’est la place du spectateur qui est elle aussi déterminée : mis à part dans les festivals thématiques, elle n’est pas vraiment centrale.
Quel attrait pour les professionnels ?
Voyons donc les choses du point de vue des professionnels. Qu’est-ce qui intéresse un professionnel, distributeur ou producteur, à programmer son film dans des festivals d’un petit pays comme le nôtre ?
Dans le cas des festivals thématiques, la réponse est simple : une programmation dans ce genre d’événements permet de toucher directement un public-cible, voire initier un bouche-à-oreille prometteur. Mais les choses sont parfois plus complexes. Pour un distributeur, programmer un film “de niche” dans ce genre d’événement ne va-t-il pas phagocyter tout son public ? Dans ces cas-là, les distributeurs peuvent parfois demander un partage des recettes, comme pour une salle commerciale, ou une somme forfaitaire pour la projection. D’autant que l’effet bouche-à-oreille peut aussi jouer en sens inverse : une mauvaise réputation auprès d’un public d’afficionados, des retours négatifs auprès des premiers bloggeurs et youtubeurs peut grever la carrière commerciale du film.
Toute aussi simple est la réponse pour les festivals professionnels. Y avoir sa place, pour les films nationaux, est presque indispensable. Par contagion, cela facilite, pour les distributeurs, la décision d’y programmer d’autres films du catalogue. Puisque ces événements sont considérés, par la profession, comme les plus prestigieux du pays. Et cela même si le public y est clairsemé. Car la question, ici, est vraiment celle du prestige. De par cette image, ces festivals attirent relativement plus de presse, elle aussi plus prestigieuse.
Reste la troisième catégorie. Dans le cas des festivals locaux, la motivation première pour un producteur ou distributeur sera simple: est-ce que le calendrier du festival rentre dans le circuit de promotion du film ? Est-ce que, plutôt que de louer une salle pour faire une avant-première du film, il ne vaut pas mieux profiter de l’infrastructure du festival ? La même réflexion vaut évidemment pour les producteurs : il n’y a qu’un nombre limité de places dans les festivals prestigieux. Avoir son film programmé dans un festival de moindre envergure lui offre malgré tout une ligne supplémentaire sur son CV et un minimum de visibilité. Quand aux festivals associatifs, il s’agit là, pour la plus grande part, de films eux-mêmes destinés aux circuits associatifs, qu’accompagnent leurs réalisateurs.
L’utilité en balance
Les festivals de cinéma, aussi nombreux et variés soient-ils, ont donc peu ou prou leur place dans ce calendrier qui semble pléthorique. Certes, certains ont l’air de se marcher sur les plate-bandes. Certes, certains n’ont l’air d’exister que par une volonté externe. Mais leur utilité peut malgré tout se justifier. Pour autant qu’on oublie, pour une grosse majorité d’entre eux, le seul amour du cinéma comme critère d’existence.