24 Jan 24

A-t-on atteint la Peak TV ?

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C’est le grand sujet du moment dans les médias professionnels américains : la production de séries aurait atteint son pic.

Prophétisée depuis des années, la fin de l’augmentation constante de nouvelles séries télé qu’on connaît depuis le début des années 2000 n’était qu’une question de temps. Et il semblerait que ce temps soit arrivé.

Une étude, publiée par Ampere Analysis, a ainsi largement été commentée. Elle conclut que les commandes de nouvelles séries auraient chuté de 24% en 2023 par rapport à 2022. Et si l’on prend 2019 comme année de référence, année où le pic semble avoir été réellement atteint, ce sont 42% de nouvelles séries en moins qui auraient été mises en chantier.

La fin de l’empire américain ?

Bien sûr, on ne parle ici que de la production de séries aux Etats-Unis. Et c’est d’ailleurs l’une des premières causes pointées dans la chute du nombre de séries produites : l’internationalisation de la production induite par les plateformes de streaming.

Ici, étrangement, les chiffres annoncés par l’étude ne correspondent pas au tableau mis en avant quelques lignes plus loin. D’après ce tableau, les productions internationales atteindraient en 2023 un plateau, à 367 séries produites pour les plateformes. Les chiffres, eux, parlent d’une chute, même si elle est moins sévère que celle des séries US.

Qu’on ne se leurre pas, cette internationalisation n’a pas grand-chose à voir avec une globalisation utopique des goûts. Elle est avant tout une réponse aux revendications des travailleurs du secteur aux Etats-Unis. Produire une série étrangère coûte désormais moins cher. D’autant que des mécanismes de financements publics se sont multipliés partout dans le monde.

Les autres facteurs pointés par l’analyse sont bien sûr les blocages liés aux grèves à Hollywood, mais surtout une baisse des dépenses somptuaires faites par les différentes plateformes de streaming qui, après des années à chasser de nouveaux abonnés, doivent maintenant revenir à un objectif plus terre-à-terre : la rentabilité.

La chute de la TV classique

Derrière ces grand chiffres, cependant, on peut aussi voir d’autres tendances se dessiner. L’une d’elle est le réel effondrement de la production pour la télévision traditionnelle. Ce que les américains appellent le Free to Air. Alors que ce segment commandait encore 124 nouvelles séries en 2021, ce chiffre tombe à 41 en 2023. Une chute de 2/3. En deux ans à peine.

Or, historiquement, ce sont ces chaînes qui ont fourni le gros de cette production audiovisuelle. Les CBS, ABC, Fox et NBC ont produit les Friends, Lost, Big Bang Theory, X Files, The Office et consorts.

Mais c’est aussi le cas de certaines chaînes du câble. Comme USA Network, productrice de Monk, Mr Robot ou encore Suits, qui a quasiment arrêté la production de séries. Ou AMC, autrefois leader du mouvement avec des séries comme Mad Men ou Breaking Bad qui n’arrête plus aujourd’hui de dupliquer jusqu’à la nausée la licence Walking Dead.

Reste donc, pour tirer tout cela, deux créneaux : les plateformes et la Pay TV avec, en tête de gondole, HBO.

Le problème des nouveaux maîtres

Et c’est peut-être là que le premier problème se pose. Ces deux créneaux se sont presqu’exclusivement concentrés sur de la série courte, qui tient sur 3-4 saisons maximum, voire même sur de la série unitaire. A priori, rien de plus normal à cela. Sur le papier, ces acteurs n’ont pas besoin de créer de rendez-vous réguliers et largement populaires, qui permettent de faire monter les prix de l’emplacement publicitaire.

Le modèle des plateformes et de la pay TV, c’est celui de la niche. Toucher les publics segment par segment. Quand HBO produit Succession, elle ne pense clairement pas à attirer le grand public avec cette histoire de famille richissime que seul le cynisme réunit. Ce que HBO vise, c’est la reconnaissance. Le prestige, les prix. Et elle y réussit très bien. HBO veut être la productrice des meilleures séries. Pas des séries les plus populaires.

Si ce n’est que ce modèle, évidemment, fait monter les coûts de production, puisqu’on ne peut capitaliser sur un show que pendant 3 ou 4 ans, plutôt que de 6 à 10 ans il y a encore quelques années.

Fondamentalement, la stratégie des plateformes est la même. Multiplier les produits de niche, avec quelques productions plus fédératrices ou de prestige. Renouveler en permanence l’offre de titres dès qu’un show montre le premier signe de faiblesse.

Nouveaux modèles, vieilles recettes

Sauf que, tout le monde le sait, ce qui fonctionne vraiment sur les plateformes comme ailleurs, c’est le fond de catalogue. Tous se battent pour garder les droits de Friends, How I met Your mother, les Simpson, Big Bang Theory. Et Suits, une série pourtant loin d’être culte, est devenue pendant plusieurs mois la série la plus regardée sur Netflix.

Pourquoi ? Parce que ce qu’ont en commun ces séries, en plus de leur légèreté thématique, c’est que ce sont des séries au long cours, qui s’étalent sur dix saisons. En les commençant, ou en les revoyant, on sait qu’on pourra passer quelques semaines sans avoir à scroller à travers des contenus dont on ne sait absolument rien, et qui ne correspondent pas à nos goûts, malgré les algorithmes.

Ces séries qu’on peut qualifier de “confortables” sont encore aujourd’hui l’apanage du médium télévisuel. Or, on le sait, la télévision disparaît petit à petit. Ou plutôt elle se dilue. Elle est tiraillée entre les plateformes de streaming, qui lui disputent désormais les retransmissions sportives ou le grand spectacle, comme les match de catch, et les réseaux sociaux, Youtube et Twitch en tête, qui lui taillent des croupières en termes de débats d’actualités (comme Hugo Décrypte ou Backseat) et de formats de jeux, devenus la spécialité d’un Squeezie.

La fin du grand public

Ce qui est en train de disparaître avec elle, c’est peut-être la notion de grand public.

Et si, aujourd’hui, aux Etats-Unis, la production de séries commence à régresser, c’est peut-être d’abord pour cela : elles ont perdu la recette pour fédérer un large public.

Une autre étude, qui compare la chute de la production par genre, donne d’ailleurs un autre chiffre qui confirme cette assomption. L’un des genres qui connaît la plus forte baisse de production est celui de la comédie, avec une chute de 30% des commandes. Historiquement, le genre fédérateur par excellence.

Alors, évidemment, il n’y a pas lieu de paniquer. D’abord parce que plusieurs facteurs, dont certains conjoncturels, expliquent cette chute. Et que donc une remontée est possible dans les années à venir. Et ensuite parce que malgré tout, il y avait encore plus de 400 nouveaux shows qui ont été commandés aux Etats-Unis en 2023. L’industrie de la série est loin de s’écrouler.

Mais ils montrent néanmoins qu’il y a sans aucun doute un point de bascule qui s’opère. Et ce point de bascule est peut-être un nouveau signe de la fin prochaine de la télé tel que nous l’avons connue.


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