Après avoir parlé du marketing supposément génial du film Barbie, on va explorer cette semaine l’autre pendant de ce qui a excité les marketeurs cet été, l’apparition du mème Barbenheimer. Ici aussi, tous chantaient les louanges de la magie du User Generated Content. Cette création spontanée, qui a envahi tous les réseaux sociaux et surgie de nulle part. Mais néanmoins nudgée par des pros du marketing.
Et tout n’est pas totalement faux. C’est vrai que cette vague qui a profité aux deux films, Barbie et Oppenheimer, semble être venue du public.
Mais est-elle pour autant spontanée? Ou est-elle le fruit moqueur, involontaire, d’une guerre d’égos en coulisses ?
Pour y répondre, il faut revenir quelques années en arrière, au moment de la sortie de Tenet, le précédent film de Christopher Nolan.
L’affaire Tenet
On le sait, Nolan est un défenseur acharné de la salle de cinéma. Pas uniquement pour des raisons de choix esthétiques, mais aussi comme modèle économique de l’industrie du film. Et on s’en souvient tous, Tenet devait être l’unique sauveur du cinéma en plein milieu de la pandémie.
Si ce n’est que la pandémie a été plus forte que Tenet. La plupart des salles étaient encore fermées, et les spectateurs en pleine crainte de tout événement public.
Mais la période de la pandémie a aussi été le signal de départ de la ruée des studios vers le streaming. Avec cette ruée, Warner, le studio historique de Nolan depuis 20 ans, a voulu rattraper son retard sur Netflix et Disney. Et a sans doute été l’un des studios les plus agressifs à tenter de promouvoir son propre service, HBO Max.
Leur stratégie : sortir tous leurs films le même jour en salles et sur HBO Max.
Dont Tenet.
Nolan a directement tiré à boulets rouges sur cette stratégie, et plus particulièrement sur le sort réservé à son film.
Or, Christopher Nolan, que l’on aime son cinéma ou pas, est l’un des rares auteurs à encore attirer largement du public sur son seul nom. A part lui, il y a Quentin Tarantino, James Cameron et, peut-être, Steven Spielberg.
Nolan, nouveau roi d’Hollywood
Quelques temps à peine après cette déconvenue, Nolan annonçait que son prochain film ne serait pas produit par la Warner, mais par Universal. Le studio lui a fait un véritable pont d’or. Il lui assure le contrôle artistique total jusqu’à 100 millions de dollars de budget. Et surtout une fenêtre d’exclusivité de 6 semaines par rapport à toute autre sortie du studio. Sans compter bien sûr que Nolan emmène avec lui un rapport exclusif aux salles Imax, dont les tickets sont les plus rentables du circuit.
Coup dur pour la Warner ? Difficile à dire. Mais il n’empêche qu’un certain esprit de vengeance a dû naître dans l’esprit d’au moins David Zaslav, le nouveau patron de la Warner, dont l’un des premiers mouvements, on s’en souvient, a été de couper les ailes de Batgirl, pour récupérer un crédit d’impôt, et emmener la franchise DC sur d’autres voies. De l’avis général, un profil nettement plus financier qu’artistique.
Dès que la hype autour du film Barbie a été confirmée, la Warner n’a pas hésité à le mettre face à face avec le film de Nolan. Ce qui, dans le calendrier des blockbusters, même hyper encombré comme en cet été 2023, est rare.
Bref, la Warner a sans aucun doute voulu jouer l’affrontement, en provoquant le Barbenheimer.
Face off
Mais pourquoi, alors même que les deux nouvelles personnes à la tête du département cinéma répètent à qui veut l’entendre qu’il espèrent récupérer Nolan ? Et que celui-ci a malgré tout post-produit son Oppenheimer dans les locaux de la Warner ?
Il y a sans doute des raisons très prosaïques : sortir un tentpole movie trop loin après le 15 juillet s’avère risqué, réduisant d’autant le potentiel de la période de 6 semaines pendant laquelle un film fait la plupart de ses recettes. Une fois la décision prise, difficile de revenir en arrière sans endommager le box office de son film.
Mais il y aussi quelque-chose qui navigue entre la négociation au forceps et la pure guerre d’égos. D’un côté un poids lourd du prestige qui reste à l’industrie du cinéma, Nolan, capable d’imposer ses conditions artistiques aux studios. De l’autre, la vision de l’industrie comme d’abord une usine à contenus dont on parlait la semaine dernière, mais qui continue à avoir besoin du prestige du cinéma.
Si ce face-à-face a continué à exister, malgré les volontés de retourner à la table des négociations, c’est peut-être justement parce que chacun garde le besoin de muscler sa position. Nolan sort de son départ de la Warner comme un auteur intouchable, qui peut dicter ses conditions à n’importe quel studio. Ce que plus personne n’a probablement eu l’occasion de faire depuis le Nouvel Hollywood, voire Hitchcock.
Face à cela, la Warner avait sans doute besoin de démontrer qu’elle avait les moyens de briser l’élan des films de Nolan.
Sagesse populaire
Bien sûr, tout cela n’est que supposition, basée sur quelques faits, et beaucoup de bruits de couloir.
Mais c’est pourtant aussi tout cela qui a créé le phénomène Barbenheimer, et son invitation à voir les deux films. Il est clair que les initiateurs du mème, mais aussi le grand public, sont au courant, même partiellement, de ces enjeux lorsqu’ils propagent cette idée.
En ce sens, après toutes les critiques qu’on peut lancer envers la promotion de Barbie, ce Barbenheimer est un rappel ludique et humoristique comme seul le net peut en produire, que tout cela n’est pas si grave. Et que si les films sont bons, on ira les voir.
Il y a quelque chose comme la protestation d’un enfant qui voit ses parents se disputer dans ce mème. Il semble dire qu’avec tous leurs défauts, leurs errements et leurs disputes, on les aime malgré tout, ces gros blockbusters. Et qu’au bout du compte, il ne sert à rien de se battre comme des chiffonniers pour notre attention.
Un bon vieux rappel de sagesse populaire, en somme.