Alors que la saison des blockbusters, qui commence en mai aux Etats-Unis, est à mi-course à l’heure d’écrire ces lignes, les analystes et éditorialistes s’inquiètent de la déjà longue litanie de flops parmi les blockbusters.
Elementaire, Shazam 2, Flash, La petite sirène, Fast & Furious X, Transformers 7 et maintenant Indiana Jones 5. Tous ces films sont loin, très loin, de répondre aux attentes financières, voire même de rentrer dans leur frais par leur seule exploitation en salles.
Pour l’heure, il n’y a vraiment pas lieu de s’inquiéter pour l’industrie hollywoodienne. D’autres films prennent le relais de ces possibles flops, comme Super Mario, Avatar 2, Les Gardiens de la Galaxie 3 ou le dernier Spiderman en animation. Et la saison est loin d’être finie, avec des films comme Mission Impossible 7, Oppenheimer ou encore Barbie dans les starting blocks. Il y a néanmoins lieu de se poser la question d’un réel essoufflement d’un modèle, celui des Cinematic Universes.
Le début de la fin des Cinematic Universes ?
Et cette question a mine de rien des implications un peu plus importantes qu’un été raté en termes de Box Office. Car le système des Cinematic Universes a profondément changé la manière dont les studios planifient leur line-up.
C’est aujourd’hui par vagues entières que les films sont lancés, dans des processus industriels de 5 ans. Voire de 10 ans pour la série des Avatar. Qui plus est, les délais de production de ces films, de minimum 3 ans, et l’intrication de leurs personnages et intrigues, rendent difficiles, pour ne pas dire impossibles, le pilotage de ces blocs de production. Sans parler de l’inflation, de plus en plus difficile à justifier au vu des résultats en salles, des coûts de production et de promotion.
Tout cela fait tout de même sacrément penser aux plans quinquennaux de cette bonne vieille ère soviétique.
On n’ira pas jusqu’à tirer des conclusions de ce parallélisme. Mais on a quand même envie de tirer des plans sur la comète d’une possible fin du cinéma de la licence. Car c’est bien la licence en soi, comme élastique à tirer toujours un peu plus loin, qui semble arriver à son point de résistance.
C’est comment qu’on freine ?
En fait, plutôt que l’élastique, c’est plutôt la métaphore du train qui convient le mieux à ce cinéma de la licence. Et quand je dis cinéma, cela englobe bien sûr bien plus que cela, avec aujourd’hui la déclination d’univers dans des séries live et d’animation. On a en effet du mal à imaginer que tout cela pourra s’arrêter d’un coup. Où, comme pour un élastique qui pète, il suffira d’en prendre un autre et de recommencer.
Cette structuration en énormes plans multiannuels nécessite un freinage en douceur, sur une longue période, si on veut éviter le crash. Passer d’une industrie qui a besoin d’au moins 5 à 10 films qui dépassent le milliard de dollars au box office (comme cela a été le cas entre 2017 et 2019), à une industrie où, avec un peu de chance, 1 ou 2 films y arrivent tous les ans, nécessite une restructuration profonde, et bien en amont.
On voit déjà poindre un certain changement de cap dans l’industrie du blockbuster avec de la co-licence comme Mario ou Barbie, susceptible d’amener des recettes en merchandising et autres droits dérivés. Mais la manne de culture populaire mondialisée est-elle assez riche et variée pour tenir sur la longueur ? D’autant que l’expérience des 30 dernières années démontre que l’exploitation de licences tierces n’est pas garante de succès. On pourrait revenir sur les adaptations de jeux vidéo, mais même cette année l’a démontré avec l’échec de Dungeons et Dragons et, encore elle, la saga Transformers.
Alors, quel avenir pour ces Cinematic Universes ? On voit déjà que ce sont ses productions de marge qui tirent aujourd’hui leur épingle du jeu : les versions animées de Spiderman, The Batman de Matt Reeves, tous budgétés à moins de 100 millions de dollars. Et rappelons aussi que l’adaptation de comics la plus rentable de tous les temps n’est pas Avengers Endgame, mais Joker, de Todd Philips, qui n’a coûté “que” 55 millions de dollars.
Le retour des “petits” budgets
Il est clair que le premier mouvement vers un freinage en douceur de cette surenchère de blockbusters passe par une réduction des budgets. Top Gun Maverick, le blockbuster de l’année passée, a coûté 170 millions de dollars (moins cher qu’un Pixar) et est donc déjà rentable. Avatar 2 en a probablement coûté 400 millions. Et, malgré son succès bien plus important, n’a sans doute pas encore atteint la rentabilité.
La pression qui pèse sur les gros studios de cinéma, qui ont d’autre part dépensé des milliards dans la création de leur propre service de streaming, va les amener à arriver bien plus vite à la rentabilité de leurs productions. La fourchette risque donc bien de revenir entre 100 et 200 millions de dollars pour les blockbusters, surtout si la fréquentation en salles reste de 20% inférieure à la période pré-pandémique.
Car c’est là l’autre bâton sur les rails du train des cinematic universes. Trop empressés à passer au tout streaming, notamment pour engranger plus de recettes hors Etats-Unis, où les remontées par ticket vendu ont de tout temps été plus faibles, les grands studios se sont retrouvés pris à leur propre piège. En réduisant drastiquement les fenêtres d’exploitation de leur film, ils en ont réduit les recettes, alors que le modèle économique de leurs plateformes n’était pas encore installé. Et se révèle aujourd’hui plus boiteux qu’escompté.
Du point de vue du spectateur, cela ne laisse plus de place pour un blockbuster médiocre, même à grand spectacle, dans le choix de ses sorties ciné. Au point qu’aujourd’hui un petit film d’horreur comme Insidious ou un dessin animé pour préados comme Les Aventures de Ladybug et Chat Noir viennent damer le pion aux tentpole movies du moment.
Les costumes au placard
Enfin, et c’est peut-être le plus évident, le superhéroïsme est peut-être lui-même à bout de souffle, après plus de 25 ans de bons et loyaux services. Cela fait longtemps que les états d’âme des sauveurs de l’humanité ne font plus rêver, et au moins une dizaine d’années que les vilains sont plus intéressants que les héros. On l’a vu plus tôt cette année, le superhéroïsme n’est plus un outil de soft power en soi. Encore moins de succès au box-office.
Dans l’immédiat, le vrai souci pour les studios qui se sont appuyés sur les Cinematic Universes n’est pas de savoir si la vague des superhéros et autres univers à la Star Wars vont prendre fin, mais de savoir quand. Parce qu’il va falloir se dégager d’un calendrier bien trop contraignant pour opérer des changements qui risquent d’être plus rapides que prévu.
Il sera nécessaire pour eux de retrouver une certaine souplesse dans leurs capacités de production. Et au vu des chiffres actuels, il est possible que le temps presse.