07 Juil 22

Cinéville, la petite carte qui sauvera le cinéma d’auteur ?

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Il y a une bonne semaine, juste avant les vacances d’été et ses programmations alternatives, un groupement de quatre cinémas bruxellois lançait sa propre carte d’abonnement : Cinéville.

Qu'est-ce que Cinéville ?

L’idée derrière Cinéville n’est pas tout à fait neuve. Il y a quelques années, alors que je travaillais pour une salle de ce nouveau réseau, circulait déjà l’idée d’une carte commune. Il aura fallu l’influx du réseau Europa Cinémas, mais sans doute surtout, l’influence du réseau frère hollandais du même nom, pour que le projet se concrétise sous sa forme actuelle.

Alors, Cinéville, c’est quoi ? C’est une carte d’abonnement mensuel, comme celle des grands réseaux comme UGC qui, pour 19 € par mois, vous donne accès à toutes les séances de quatre salles indépendantes bruxelloises : le Palace, les Galeries, le Vendôme et le Kinograph. Si l’on y ajoutait le Nova, nous aurions là toute l’offre de cinéma alternative et Art et Essai de Bruxelles.

L'exemple hollandais

Comme je l’ai dit précédemment, Cinéville s’inspire de nos voisins hollandais, où la carte existe depuis 2009. Elle a démarré avec 5 salles amstellodamoises. Aujourd’hui, l’initiative a tout d’une success-story : 44 établissements dans 20 villes acceptent la carte, sans compter les festivals. 55.000 détenteurs actifs de l’abonnement comptent pour 1.5 millions de places par an. Ce qui fait une moyenne de 27 films par an par abonné. Plus de 2 films par mois.

Mieux, d’après les chiffres communiqués par l’association Cinéville, le pass a permis une augmentation de 20% de la fréquentation des films Art et Essai, ce qui leur a fait dépasser la barre des 10% de parts de marché.

Impressionnant.

Enfin, et c’est sans doute là le plus impressionnant, l’association Cinéville a réussi l’exploit d’augmenter son nombre d’abonnés pendant la pandémie, alors que les cinémas étaient fermés.

La clé du succès

Mais quelle est la recette d’un tel succès ?

Clairement, l’offre commerciale ne suffit pas à le justifier. Si Cinéville est un pari réussi, c’est parce qu’elle a joué à plein la logique de réseaux. Et même plus, des réseaux interconnectés.

Je m’explique.

Cinéville est une association dont le fonctionnement est financé par les salles-membres elles-mêmes. Chacune d’elle est ainsi copropriétaire de l’initiative. Cinéville peut donc se voir comme un investissement commun, qui leur rapporte par ailleurs par l’augmentation de la fréquentation qu’elle permet. Ce co-actionnariat crée un intérêt commun, qui surpasse les éventuelles rivalités et les divergences d’intérêts. Et crée, par son fonctionnement-même, la solidarité. Comme le dit l’un des membres du réseau : “Personne n'aurait pu imaginer qu'une collaboration aussi étroite sur un projet comme Cinéville créerait des liens aussi forts entre des cinémas qui n'ont jamais travaillé ensemble auparavant. Nous apprenons les uns des autres et nous nous soutenons mutuellement.”

Rien que cela crée un rapport entre les acteurs du secteur qu’aucune association professionnelle ou aucun groupe de lobbying n’arrive à atteindre.

Mais la structure en réseau ne s’arrête pas là. Les distributeurs, et principalement les indépendants, aussi sont amenés à se rapprocher du réseau de salles, qui devient, par la force des choses, leur interlocuteur privilégié. Cela ne résout probablement pas les relations parfois tendues que peuvent provoquer le rapport client-fournisseur. Mais ça contribue sans aucun doute à assouplir les discussions, et à créer une meilleure compréhension entre les acteurs.

Tout cela ne serait rien, évidemment, si Cinéville ne réussissait pas à attirer, et surtout à garder, les clients. Et on a vu plus haut que le carte excelle sur ce point.

L'art de fidéliser son public

Comment ? Par le marketing de contenu. Cinéville, ce n’est pas qu’une carte. C’est aussi une app, et un site internet. Où les clients peuvent retrouver les séances, bien sûr, mais aussi des critiques des films, mettre des films dans leur liste d’envie, et coter les films qu’ils ont vu. Et enfin, recevoir des suggestions personnalisées et voir ce que leur amis ont vu. En clair, Cinéville est pour les Cinevillers comme on les appelle, une véritable communauté cinéphile. Pour citer une utilisatrice: “J'ai adhéré parce que mes amis l'ont fait. La carte me donne un sentiment de liberté. Aller au cinéma n'est jamais perdu, et j'ai l'impression que Cinéville connaît mes goûts. Je me souviens être allée voir HONEYLAND (2019) parce que Cinéville me l'avait suggéré. Je ne serais probablement pas allée voir un film sur un apiculteur macédonien autrement."

Si Cinéville est un succès en Hollande, ce n’est pas parce que l’idée de base est géniale. Elle ne l’est pas tant que ça. C’est un succès parce que sa stratégie est basée sur le long terme. Une stratégie où le produit de base, la carte, n’est que le support, le business model, d’un projet plus large basé sur l’entraide et la connaissance de tous les échelons du pan commercial de l’industrie. Et aussi, à n’en pas douter, sur une utilisation raisonnée des données de ses clients. Cela leur permet d’avoir une vision à plus long terme et anticiper les besoins de ses publics-cibles.

Bruxelles arrive

A Bruxelles, on en est loin, bien sûr. Seule l’offre commerciale existe pour l’instant. Et il y a le défi d’un pays multilingue et multiculturel. Mais, si les promoteurs du projet se focalisent sur du vrai long terme - pas le long terme “business” à 3 mois, 6 mois ou un an mais plutôt à 5 ou 10 ans - il n’y a aucune raison qu’ils ne puissent dupliquer le système. Nul doute qu’ils dissèquent avec intérêt le succès de nos voisins. Et, on l’a déjà vu, le secteur bruisse de projets qui peuvent l’accompagner comme le site Cinemapp ou le futur magazine gratuit Surimpressions.

Cinéville est une réelle opportunité pour le monde du cinéma indépendant. Une opportunité dont, je le répète souvent, il a absolument besoin. Il lui faudra à mon avis travailler maintenant sur la création de ses réseaux propres, de ses communautés. Avec patience, et une vision claire. Ce n’est qu’avec ces deux qualités qu’elle se démarquera.

Quel beau défi.


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