09 Mar 22

Comment j’ai appris à aimer le “contenu”.

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Cela fait des années que les grands pontes de l’audiovisuel ne parlent plus que de ça : le contenu. Que ce soient les CEO de Disney, d’Amazon, de Netflix, de HBO ou d’Apple, plus aucun ne parle de films, de séries, d’auteurs ou d’œuvres. Ils parlent de contenus et de créateurs de ces mêmes contenus. Et chez nous aussi, le temps est à la guerre des contenus.

Cette expression a le don d’agacer les amateurs et les professionnels, moi le premier. Ce concept, purement marketing, détruit la spécificité de toutes les catégories qu’il recouvre, et rabaisse la notion d’auteur à celle de simple fabricant. Et pourtant, à bien y réfléchir, la notion de contenu porte en elle un rapport de forces qui pourrait bien être à l’avantage des auteurs et autrices.

Le contenu et le marché

Il suffit, pour cela, de retourner les prémices du problème.

Si le concept de contenu hérisse tant, c’est qu’il semble imposé à tou.te.s par les instances du marché. En marketing, la création de ce genre de concepts est là pour rendre saillant un aspect du marché auquel on est peu ou prou confronté. Dans le cas qui nous occupe, cette réalité est une évidence pour tout le monde. La barrière des formats a littéralement explosé.

Les grands empires médiatiques que sont Disney, Amazon, Netflix et les autres vivent depuis longtemps avec cet état de fait: leurs revenus, pour être durables, ne peuvent plus venir d’une seule source. Leur portefeuille est constitué, depuis au moins le milieu des années ‘80, de films, de séries, de programmes télé, de retransmissions sportives. Tous ces formats, à des degrés et des moments divers, ont connu des fluctuations importantes.

Pour ces grands acteurs, parler de contenu, c’est d’abord redonner une unité à leur catalogue. C’est montrer, à leurs actionnaires d’abord, certes, qu’ils continuent à être la même industrie, qui occupe un segment du marché, et un seul: le divertissement audiovisuel. Et ils peuvent ainsi continuer à leur parler le langage qu’ils veulent entendre: les parts de marché.

Il n’empêche, cela reste le vilain marché qui dicte sa loi, non ?

Le contenu et les auteurs

Et si c’était l’inverse ? Et si c’était ce qu’on peut qualifier d’auteurisme qui menait la danse ? Prenons l’exemple des séries. Il y a trente ans, on ne faisait pas séries. On faisait de la télévision. Ce n’est qu’à partir du moment où des auteurs de séries ont commencé à émerger que la forme série, le contenu sérié, a commencé à se distinguer de son format, la télévision. Et c’est la télévision qui a fini par faire des concessions sur le format. Pas en terme de longueur, qui restaient inamovibles à cause de la logique de flux. Mais le nombre d’épisodes a commencé à varier. Les mini-séries sont apparues. Aujourd’hui, avec le streaming, l’idée-même d’épisodes de durée égales vole en éclats.

Voilà mon hypothèse: si on est arrivés à ce concept de contenus, c’est qu’il n’est tout simplement plus possible de décrire la floraison de créations audiovisuelles par des termes séparés. Et cela, sous la pression créatrice d’auteurs.

Et le contenant ?

Mais il y a plus. Nous devons aussi réfléchir à ce que ce concept de contenu révèle en creux. Ce qu’il ne dit pas. La conséquence directe de ce que je viens de décrire est tout entier contenu dans le terme-même de contenu. Si l’industrie audiovisuelle a décidé de se focaliser sur le contenu, c’est qu’elle a abandonné l’idée de maîtriser le contenant. La forme.

Beaucoup d’entre vous ne s’en souviennent peut-être pas, mais l’idée de faire des films de près de 3 heures, comme le dernier Batman était une exception il y a à peine trente ans, réservée à une élite d’auteurs reconnus internationalement. Et quand, aujourd’hui, le moindre petit cinéaste se voit imposer une coupe pour une quelconque raison commerciale ou de production, il a plus souvent qu’à son habitude, le droit de proposer son “director’s cut” pour une seconde exploitation commerciale.

Si on y regarde de plus près, si tous ces grands studios de production parlent de contenus, c’est qu’ils sont incapables de suivre le mouvement de la forme. C’est aussi ça, l’avènement du marketing digital. Là où le producteur tirait son pouvoir d’une soi-disant connaissance de ce que désirait “le public”, on se rend compte aujourd’hui que “le public” comme groupe unitaire, n’existe pas. Tout au plus peut-on déterminer des niches. Et travailler par essai et erreur.

D’où l’utilisation du terme contenu. D’où la soif inextinguible de tous les acteurs pour de nouvelles créations. Pour tester, encore et toujours.

Personne ne maîtrise plus rien !

Vous me direz qu’il existe toujours des exigences de type tranches d’âge ou catégorie socio-professionnelle. Des divisions capitale-province. Mon avis est qu’elles sont les réminiscences d’un monde qui s’amenuise. Et les acteurs “plateformisés” en sont plus conscients que qui que ce soit d’autre.

La preuve ? Les derniers représentants du secteur qui ont voulu se démarquer en imposant des formats : Quibby aux Etats-Unis et BlackPills en France, se sont lamentablement plantés. Quand aux plateformes de User Generated Content, elles passent leur temps à s’adapter, pas seulement aux habitudes de consommation, mais surtout aux habitudes de création. Youtube vient d’abandonner l’idée de financer ses propres créations et s’ouvre à tous les formats possibles, de la courte vidéo verticale d’une minute aux longs formats de plus de 3 heures, en live ou pas. Et même TikTok, le si à la mode TikTok, qui semblait le roi du format ultra-court et qui semblait surfer sur une vague de “content-snacking” s’ouvre aux formats plus longs, jusqu’à 10 minutes.

Bref, loin d’être une nouvelle insulte du vilain marketing jeté à la face des auteurs et autrices. Le terme de contenu est peut-être tout son contraire: une manière de jeter l’éponge. De dire: faites ce que vous voulez, on se contentera de gérer les tuyaux, et de trouver un business model à tout cela.

Vue comme ça, la période que l’on vit est l’un des meilleurs moments pour être auteur.ice.


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