04 Mai 22

De quoi la représentativité est-elle représentative ?

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Je ne sais pas très bien comment je devrais qualifier cet épisode: analyse, critique, coup de gueule. Sans doute un peu de tout cela à la fois.

Je voudrais vous parler de ma journée de ce vendredi 29 avril, et des réflexions qu’elle m’a amenée à avoir. Ce 29 avril donc, se tenait, en présentiel, une tradition dans le monde du cinéma belge francophone: le bilan du Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel. Il s’agit de l’organe qui regroupe toutes les sources de financement mises à disposition de l’industrie, de la production à la diffusion, en passant par les festivals.

Revendiquer devant un public acquis

C’est un moment un peu particulier, où l’administration de la Fédération Wallonie Bruxelles invite les représentants de la profession (surtout les producteurs et diffuseurs), pour aligner un bilan chiffré de l’année écoulée (spoiler alert: tout va assez bien, malgré tout), mais aussi depuis quelques années, un bilan des avancées sur un cheval de bataille de la Fédération: la représentativité (un peu moins spoiler alert: là ça patine dans le sable).

Et puis enfin, ce raout annuel est l’occasion pour les professionnels de la profession de placer leurs revendications. D’année en année, ce moment revendicatif fait office de passage obligé, en fin de conférence. Mais cette année, je n’ai pu m’empêcher de ressentir une certaine gêne face aux revendications. Gêne qui avait commencé une semaine plus tôt, à la publication d’une pétition lancée sur la plateforme Change.org, intitulée Alignez les planètes : pour une filière cinéma et audiovisuelle créative !

Ce texte, je l’ai trouvé comme son titre : abscons. De quoi y parle-t-on vraiment ? A qui est-il adressé ? Et puis, pourquoi une pétition ?

Nous étions là, à 200 personnes environ, à écouter lire ce texte nous parlant des confinements, de la Culture avec un grand C, du vilain marketing, de responsabilité, de dignité et surtout de gros sous, qu’il ne faudrait pas laisser sur la table. Le tout devant exactement ceux à qui ils étaient adressés: l’administration et la ministre de tutelle. Personnes auprès desquelles les associations à l’origine de cette pétition ont, de notoriété publique, porte ouverte.

Le jeu de la lutte sociale

J’avais ce sentiment étrange que se jouait là, de manière totalement dévitalisée, comme sur une scène de théâtre, la représentation d’une lutte, d’un combat social. A la manière des luttes syndicales ouvrières. Mais que tout cela ne trompait plus personne. Tout ça était pour la forme. Tout ça tournait à vide.

Lors du drink qui suit ce genre d’évènement, je n’ai pas pu m’empêcher de regarder autour de moi. ne fût ce que pour vérifier empiriquement les chiffres donnés juste avant sur la représentativité. Effectivement, nous étions tous et toutes, dans notre très grande majorité, bien blancs. Et toutes et tous, sans exception cette fois, bien bourgeois.

Mais surtout, les mots échangés juste avant, dans la grande salle de cinéma où nous étions, n’alimentaient en rien les conversations. C’était le retour du business as usual. Les deux lignes sur les rémunérations indignes de certains travailleurs n’avaient laissé aucune trace dans les esprits. Et pour cause, ce n’était qu’un argument parmi d’autres pour demander une augmentation des sources financières disponibles pour l’audiovisuel en général.

Sociologie du "jeune" cinéma

Je reviendrai plus loin sur ces fameuses revendications du “secteur”. Mais je voudrais d’abord faire un petit crochet, comme je l’ai fait ce jour là, par la Place Flagey de Bruxelles. C’est là que se déroulait jusqu’à samedi dernier le Brussels Short Film Festival, et je voulais aller y voir, devant un “vrai public”, le film que nous avions produit. Pour celles et ceux qui ne connaissent pas Bruxelles, la Place Flagey est un des coins les plus cossus de la Capitale. Un coin qui, en quelques années à peine, s’est totalement gentrifié. Et pour quelqu’un, comme moi, qui vit dans le Borinage, région associée depuis un siècle, dans l’esprit de tout cinéphile, à l’idée de misère, passer sur cette place est toujours un choc. Ici aussi, tout le monde ou presque est blanc. Ici règne le tote bag, la moustache, la boucle d’oreille unique, le demi-bonnet, la basket Veja.

Ici, pas la trace d’un survêt’, d’une casquette, d’un sneakers. Ici tout le monde parle, indistinctement, exactement la même langue. Je veux dire le même français, parce que vous entendrez sans doute de l’allemand, de l’anglais, etc. On y parle un français châtié, agrémenté de ci de là d’un accent parisien.

Et, qu’on ne s’y trompe pas, une fois dans la salle, c’est exactement la même chose : une bien belle uniformité de gens habillés comme il faut, parlant comme il faut, se tenant comme il faut.

Où sont les prolos ?

Voilà qui est étrange: pas que la Place Flagey soit un repère bourgeois, mais que le lieu du jeune cinéma, du cinéma pas encore happé par la logique capitaliste le soit lui aussi.

Où sont ces gens bigarrés qui arpentent nos plateaux? Ou sont les régisseurs et régisseuses, les machinos, les tireurs de câbles, les femmes et hommes à tout faire, les administratrices de production, les coiffeuses, les habilleuses ? Celles et ceux dont on se plaignait, quelques heures plus tôt à peine, qu’ils étaient décidemment mal payés, avec des RPI indignes ?

Plus généralement, où sont les pauvres, les prolos, les chômeurs ? Je ne parle pas ici des “statuts d’artistes”, mais des chômeurs qui ne trouvent pas de travail. Où sont les vieux ?

Ceux là, semble-t-il, on les laissera volontiers au grand vilain marketing que dénonçait la pétition que je mentionnais au début. Ou on les abandonnera dédaigneusement aux séries Netflix et aux jeux vidéo, comme on a pu l’entendre dire lors d’une audition à la commission culture du Parlement de la Fédération Wallonie Bruxelles. Comme si, encore aujourd’hui, la culture populaire était une sous-culture, indigne. Et où ses représentants n’avaient décidemment pas leur place dans la grande famille du cinéma.

La diversité sociale, vrai gage de dynamisme

Je pense que vous me voyez venir maintenant: c’est une vraie nécessité de parler de représentativité, certes. Mais, comme toujours, il y a une représentativité qui n’est jamais nommée, jamais mentionnée, c’est la représentativité sociale. Sans elle, sans l’intégration de ce qui reste au fond de beaucoup de têtes bien faites les “classes dangereuses”, toute cette agitation ne fait que redistribuer les cartes entre nantis.

Et si on veut un cinéma et un audiovisuel vraiment dynamique, et vraiment créatif, si on veut, nous aussi, produire des films comme Les Misérables, il va falloir aussi traiter de cette représentativité-là.


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