Et de 3 ! Alerte rouge, le prochain film de Pixar sera le 3e du studio d’animation à se passer d’une sortie en salles sur les principaux marchés, pour rester une exclusivité Disney +.
Ce qui pouvait encore ressembler à une anomalie liée au Covid jusqu’à présent devient maintenant clairement un choix stratégique assumé de la part de Disney. Et ce choix n’a rien de vraiment étonnant si on regarde l’évolution du géant du divertissement ces 10 à 15 dernières années. L’achat retentissant de licences (plus que de studios de cinéma), la structuration de ses productions en “marques” visant chacune un public distinct. Puis le passage à l’offre de streaming, depuis longtemps planifiée, mais accélérée par les confinements et fermetures de salles.
Histoire d'un pivotage
Plus que toute autre entreprise, Disney est la quintessence de la vision industrielle de notre métier. Cela fait très longtemps que les mots films ou auteurs ne font plus partie de leurs communication, remplacés par des mots comme franchise, licences, contenus, IP’s. Loin de moi l’idée de critiquer cette vision. Elle est en fait toujours intéressante, parce qu’elle nous montre la direction que va prendre l’industrie dans son pendant Blockbusters.
Et donc, les films Pixar vont rester une exclusivité Disney +. Ce qui en déçoit beaucoup, en premier lieu les premiers concernés. Mais qui en laisse aussi beaucoup d’autres perplexes. Pourquoi ces films de qualité, qui coûtent quand même autant à produire qu’un “petit” Marvel, ne passent plus la barre de la salle ?
Pixar comme laboratoire
A mon avis, il y a plusieurs raisons à cela :
- le coût de production ne fait plus tout aujourd’hui. Et cela depuis longtemps. Les frais de marketing ont littéralement explosé ces 30 dernières années, pour atteindre des sommes qui avoisinent le budget de production lui-même. Eviter la salle, c’est non pas éviter les frais marketing mais l’inclure dans l’enveloppe plus globale de la promotion de la plateforme.
- Pixar, quoi qu’on puisse en penser par ailleurs, est un laboratoire. En tout les cas comparé aux studio d’animation Disney “classiques”. Et plus encore à Marvel, ou Star Wars. Soul et Luca étaientt des propositions très originales, comme l’ont été Up ou Inside Out en leur temps. Beaucoup des films du studio sont appelés à rester des “One Shot”, des films qui n’ont pas le potentiel de devenir des licenses en soi. Il est clair qu’un film tiré de l’univers Toy Story comme LightYear sortira probablement en salles. Comme un hypothétique Indestructibles 3. Je pense que Disney ne sortira plus en salles que des films assurés d’un succès retentissant.
- Disney + a, bien évidemment, besoin de contenus. Derrière les chiffres étourdissants de l’ascenscion de Disney + se cachent une série de chausse-trappes pour Disney. Tout d’abord, sa montée en puissance a été conjoncturelle. C’est d’abord en augmentant le nombre de marchés où le service était proposé que l’augmentation a été aussi fulgurante. Ensuite, la pandémie a évidemment joué en sa faveur. Enfin, cette montée en puissance est d’abord une course de vitesse. Il fallait occuper le marché avant l’arrivée des HBO Max, des Peacock, ou - on peut toujours rêver - le passage à la vitesse supérieure d’Apple TV +. Si bien qu’à la fin 2021 le service de Disney atteignait le chiffre impresionnant de 118 millions d’abonnés, mais la courbe d’augmentation commençait à s’écraser. De plus, cette ascension fulgurante s’est aussi faite à coup de promotions agressives, d’offres gratuites et de réductions. Offres qui ont touché à leur fin. Il s’agit maintenant de fidéliser les abonnés. Et de les convertir en abonnés payants. Dans ce cadre-là, les films Pixar remplissent un créneau. Un public-cible que d’autres offres ne touchent pas. Des films de qualité, exclusifs.
- Dans un mémo révélé récemment, le CEO de Disney révélait ses priorités pour les années à venir. Il y évoque bien sûr, comme tout le monde, l’envie d’explorer le métaverse. Mais il rappelle aussi ceci: le public, ses envies, ses habitudes de consommation, reste la boussole du studio. Et une plateforme, c’est aussi ça : un moyen de collecter des données De capter avec plus de précision et à moindre risque ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas. Disney + leur permet aussi cela: tester, bidouiller, et transformer ce qui marche en nouvelles licences. Mais aussi de nouveaux auteurs. Les réalisateurs de Luca et du futur Alerte Rouge n’avaient à leur actif qu’un seul court métrage.
La fin de l'ère des blockbusters ?
L’avenir de Pixar au sein de l’empire Disney a l’air aujourd’hui incertain. Mais il ne l’est qu’en surface. Le studio pourra continuer à produire des objets originaux, un peu fous, des purs prototypes. De ces prototypes sortiront sans doute les licences de demain, appellées à remplacer celles, vieillissantes comme Toy Story ou Cars. Seules celles-là sortiront sans doute encore en salles.
On peut, évidemment, s’en plaindre. Mais ce qui se dessinne avec Pixar, c’est, semble-t-il, la fin de l’ère des blockbusters. Il n‘en restera sans doute que quelques-uns par an dans les salles.
Dans cette nouvelle configuration, Pixar pourra continuer à faire ce qu’il fait le mieux : expérimenter.