La saison des cérémonies du cinéma est maintenant terminée. Et elle a été secouée plus que jamais.
Une énième polémique aux Magritte, un scandale qui couvait depuis trop longtemps aux César et des Oscars qui lorgnent toujours plus vers l'étranger.
Ces trois événements incitent à se poser une double question: les cinémas nationaux sont-ils des marques, et les cérémonies sont-elles leur meilleure publicité ?
Des Magritte toujours aussi surréalistes
Pas une année ne passe sans que les Magritte génèrent leur petite polémique dans le tout petit monde du cinéma belge francophone. Cette fois-ci, tout serait parti d'une mauvaise blague attaquant nommément Joachim Lafosse.
Rien de bien terrible, un égo blessé et puis c'est tout.
Sauf que Lafosse s'est fendu d'une carte blanche qui pose les bonnes questions. Son argument tient en deux points: cette cérémonie est une mauvaise opération de marketing, et elle dédaigne son public. Avec, comme conclusion: le cinéma belge n'est pas une marque.
Et force est de constater qu'en dix ans d'existence, les résultats des Magritte ne sont pas encore au rendez-vous. Ni en termes d'entrées, ni en termes de reconnaissance du cinéma belge francophone sur son propre territoire.
Et donc oui, même si la blague est éculée, les Magritte sont une cérémonie montrée à des gens qui ne vont pas voir les films dont on parle. C'est un fait.
Mais est-ce que cette cérémonie s'adresse vraiment au public des cinéphiles belges ?
Quel est le message de marque des Magritte ?
Les Magritte s'enorgueillissent d'être une cérémonie décontractée, qui cultive l'auto-dérision bien belge. Elle renvoie chaque année l'image-type que se fait une certaine frange du public cultivé français, celle qui regarde Quotidien de Yann Barthès.
Les Magritte seraient encore une de ces manières de se regarder dans le miroir tendu par notre grand voisin ? Ce n'est sans doute pas la volonté, mais c'est le résultat.
J'ai appris cette nouvelle étonnante récemment: Veerle Baetens, actrice flamande qui a remporté le Magritte de la meilleure actrice cette année, est en fait la seule "star" féminine du pays à être effectivement domiciliée en Wallonie. Toutes les autres, bien que belges, habitent et travaillent aujourd'hui en France.
La question que je me pose, du coup, est la suivante : peut-il en être autrement, avec la structuration du système de production qui est la nôtre ? La Belgique francophone produit, certes, mais vit de ses coproductions avec la France.
Et la réponse à la question de Joachim Lafosse est alors : oui, le cinéma belge francophone est une marque, et les Magritte un outil marketing. Mais un outil qui s'adresse à un public qui n'est pas celui qu'il annonce. Son vrai public-cible est le monde de la production francophone. Il n'y aurait aucun mal à cela, mais il faut alors l'assumer.
Les César en pleine crise de la quarantaine
Les César, eux, n'ont pas vraiment ce problème d'identité. Et c'est peut-être bien là la cause de leurs soucis actuels.
Mis à part les rituelles récriminations du monde de la culture envers les Ministres en place, la Cérémonie n'a jamais débordé sur des questions politiques.
Sauf qu'aujourd'hui, cette position n'est plus tenable. Toute la morgue d'Alain Terzian n'a cette fois rien pu faire contre la déferlante du réel. Il a été balayé par son aveuglement même.
Et, malgré toutes les qualités qu'il a par ailleurs, le film de Polanski aura moins été le révélateur que la métaphore de cette crise au sein du cinéma français. Un film certes excellement écrit et réalisé, mais ripoliné comme rarement. Et tenu par un discours de victimisation que toute personne un tant soit peu consciente de l'état d'esprit du monde contemporain aurait au moins réfréné.
Les scandales qui ont entouré cette 45e cérémonie des César aura été comme un signal de la fin de la crise de la quarantaine. Il va maintenant falloir revendre la Porsche, arrêter de croire qu'on peut posséder toutes les minettes qui passent, et revenir à la réalité. C'est très désagréable, mais il faut que ça arrive un jour.
On n'a pas à se faire trop de soucis. Cette année déjà, malgré les 12 nominations qu'avait récolté J'accuse, il repart les mains passablement vides. Et il doit surtout partager la vedette avec le vrai grand film français de cette année: Les Misérables, de Ladj Ly. Le film d'une génération plus portée par l'urgence politique que par l'égo d'auteur.
Les Oscars étendent la marque
De l'autre côté de l'Atlantique cela fait longtemps que le ton est différent. La politique s'invite autant dans la Cérémonie qu'au dehors: pour une meilleure représentation des minorités, contre les violences sexuelles, contre Trump. Hollywood représente la gauche caviar de l'échiquier politique américain et l'assume pleinement. C'est presque sa carte de visite.
Mais l'événement de cette année, c'est que, pour la première fois de son histoire, les Oscars ont donné leur plus haute distinction à un film étranger, en langue étrangère.
Sur l'histoire longue, ce n'est qu'une suite logique. De nombreux films étrangers ont été primés dans le passé. Lawrence d'Arabie était un film anglais, The Artist, français. Et des cinéastes étrangers ont également été souvent primés. Le dernier en date étant Alfonso Cuaron pour Roma qui, bien que produit en partie aux Etats-Unis, n'a gagné l'Oscar que pour le Meilleur Film en langue étrangère.
Rien de vraiment neuf, donc.
Si ce n'est une chose. Aujourd'hui, les Oscars se positionnent comme une marque mondiale. Ils s'arrogent le droit de primer tout film qui correspond à ses critères de qualité esthétique et aux valeurs qu'ils veulent promouvoir. Ils étendent leur marché.
Les cérémonies du cinéma sont des marques qui doivent s'assumer comme telles.
Revenons-en à notre petit cinéma national et à la question du marketing.
Alors oui, les Magritte sont une marque, et ils ont bien raison de l'être. Pour autant, ils vont devoir faire ce que font toutes les marques aujourd'hui : définir leur réel public-cible et promouvoir les valeurs qui correspondent à ce public.
Cela se résume à trouver une vraie réponse à cette question qui reste toujours en filigrane : c'est quoi, en fait, le cinéma belge francophone ?