05 Juil 23

Et si Youtube gagnait la guerre du streaming ?

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Alors que la guerre du streaming connaît un nouveau revirement avec le retrait et la resyndication de pans entiers des catalogues des majors sur les plateformes concurrentes, il y a un intervenant qui continue son évolution discrète : Youtube.

Rarement mentionné comme acteur majeur de la guerre du streaming, Youtube place néanmoins ses pions là où les champs n’ont pas encore été labourés : la bonne vieille télévision.

J’ai déjà parlé plusieurs fois de Youtube dans ces chroniques. De sa capacité à créer des partenariats féconds avec d’anciens acteurs télévisuels. Des possibilités qu’il offre à qui sait se constituer une audience de niche. J’ai aussi déjà signalé l’opportunité que la plateforme constituait pour y annoncer ses sorties cinéma. Toutes choses qui sont aujourd’hui d’autant plus d’actualité.

Dans la place depuis 2005

Il ne faut pas oublier que Youtube, lancé en 2005, est le plus ancien service de streaming actif à ce jour. Et aussi le plus usité, de loin, avec 2,5 milliards d’utilisateurs actifs mensuels.

Mais ce qu’il se passe ces derniers mois est peut-être en train de bouleverser durablement le paysage du streaming vidéo. Depuis la crise du Covid, Youtube est lentement en train de coloniser les écrans de télévision. Aux Etats-Unis, le taux de visionnage de vidéos Youtube sur une télé est passé de 30% en 2020 à 45% en 2022.

Oui, près de la moitié des vidéos postées sur Youtube sont vues sur le grand écran du salon aux Etats-Unis. Quand on sait que le temps de visionnage moyen aux Etats-Unis est aujourd’hui de 48 minutes par jour, lui aussi en augmentation de 30 % en 3 ans, juste derrière Tiktok et pas très loin de Netflix, on saisit un peu mieux l’importance du phénomène.

En Europe, les chiffres sont plus flous, et sans doute nettement moins importants, mais il est évident que la stratégie de Youtube est de s’imposer sur les écrans de télévision. Aux Etats-Unis toujours, la plateforme a acquis à grands frais les droits de diffusion des matches de la NFL, un service payant. Elle possède également un service Youtube TV regroupant 100 chaînes de télé nationales, qui compte certes à peine 3 millions d’abonnés, mais tout de même significatif étant donné son prix assez élevé de 73 dollars par mois. Et la filiale d’Alphabet vient également d’annoncer des formats publicitaires spécifiques à la diffusion TV, comme des publicités qui se lancent au moment où l’on met une vidéo en pause.

La plateforme des contenus “long form”

On peut tirer deux conclusions de cette nouvelle donne :

  1. Contrairement aux idées reçues, les contenus plus longs (entre 10 minutes et 2 heures) sont sans aucun doute en train de gagner du terrain. Et pas que sur Youtube. Twitch est devenue la plateforme de la retransmission en direct.
  2. La professionnalisation de la plateforme, des vidéos qui y sont postées, est devenue une nécessité. Le secteur de la vidéo plus spontanée est maintenant détenue par des plateformes comme TikTok ou Instagram. Et Youtube elle-même, mais dans sa version pour appareils mobiles, avec les Youtube Shorts. Sur Youtube, la vidéo doit non seulement être techniquement irréprochable, mais aussi correctement scriptée et montée.

Alors bien sûr, la plateforme n’est pas réellement un service de streaming comme ceux d’Amazon, Netflix, Disney et les autres. Elle s’est créée comme un réseau social, un réseau de partage de vidéos, basées presqu’exclusivement sur le fameux User Generated Content.

Mais cela fait déjà un bon paquet d’années que Youtube s’écarte de ce modèle. Il lui reste bien les résidus de réseaux sociaux habituels, les likes, et les commentaires. Mais il a amorcé bien avant ses concurrents le virage vers une plateforme de distribution de contenus, ce que sont entretemps devenus Facebook, Instagram, Twitter et TikTok. Il a même tenté de produire ses propres contenus , via son service Youtube Red, qui a été bien vite rangé dans son armoire assez fournie de flops retentissants.

A l’assaut des écrans de télé

Aujourd’hui, c’est plutôt en s’imposant comme l’alternative gratuite aux services de streaming, comme agrégateur presque universel de contenus audiovisuels que Youtube tente de s’imposer sur le marché. Avec, en somme, la même méthode que sa maison-mère, Google : attirer à lui la plus grande part de la manne publicitaire, en jouant sur la capacité de ciblage que lui offre ses énormes bases de données. Capacité qu’aucun de ses concurrents n’arrive à surpasser, comme on l’a vu la semaine dernière. Et qui lui permet, qui plus est, d’appliquer une politique tarifaire sans égal.

C’est une bataille que Youtube est tout à fait à même de gagner, en se posant comme la télévision du futur plutôt que comme streamer. Alors que toutes les télévisions du monde pensent à la fin de la télévision linéaire, elles cherchent toutes le mix idéal entre plateformes propres et plateformes tierces. Que cela soit notre RTBF, les chaînes françaises, allemandes et même américaines, toutes diffusent ou même créent du contenu spécifique pour Youtube, entre autres plateformes.

Sans parler, bien sûr, des chaînes de radio, qui voient elles aussi en Youtube et dans les plateformes de podcast un moyen de palier la chute de leur audience, et de se donner un minimum de visibilité dans un paysage en pleine transformation.

Bien sûr, les problèmes d’une telle stratégie sont toujours les mêmes : en diffusant sur une plateforme tierce, qui ne nous appartient pas, on se met à la merci de choix industriels qui ne sont pas les nôtres. Il suffit que Youtube décide unilatéralement de changer de stratégie, ou de modifier la manière dont elle compte les vues, comme elle le fait régulièrement, pour que votre modèle économique, ou tout simplement promotionnel, se trouve fragilisé

Des risques et des opportunités

Il n’empêche : même en prenant en compte ces risques, il existe, aussi pour les créateurs, des opportunités que cette donne ouvre grandes. On voit déjà apparaître tout un pan de la création cinématographique issu directement de la scène Youtube, plutôt que du sérail des écoles, ou d’une célébrité acquise à la télévision. Cela se passe principalement dans des genres populaires comme la comédie (on pense au Palmashow par exemple) ou le cinéma d’horreur où des studios à la mode comme A24 font en ce moment leur marché.

Difficile de savoir si cela créera une nouvelle génération d’auteurs, comme la télé des années 80 et 90 ont pu en créer. Ou si ce mouvement tectonique s’arrêtera à la simple concurrence de la télévision.

Toujours est-il qu’il y a, là aussi, une porte d’entrée pour des voix différentes, non formatées, apportant d’autres références culturelles que celle qui domine la production actuelle. Certains pays ont déjà compris l’intérêt de développer aussi, parmi d’autres formats, la professionnalisation des chaînes Youtube.

Les modèles de recettes restent, pour de petits créateurs, très fragiles. Mais on le voit, il y a un réel besoin de contenus moins formatés. Les acteurs traditionnels de la télévision et de l’audiovisuel ont besoin de se diversifier. Et, surtout, ils doivent se repositionner par rapport aux offres de streaming aux tentations hégémoniques.

Tout cela fait de Youtube un acteur qu’il faut envisager autant avec circonspection qu’avec intérêt, comme un acteur majeur de la télévision délinéarisée de demain.


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