Il y a de cela un peu plus d’un an, on s’inquiétait de l’étrange raréfaction des jeunes stars Hollywoodiennes.
Or, pas plus tard que mercredi dernier, le 30 octobre, le magazine professionnel Hollywood Reporter étendait un tant soit peu cette inquiétante disparition dans un article intitulé : The Big Squeeze: Why Everyone in Hollywood Feels Stuck.
Dans le plus pur style américain, l’article commençait par une petite histoire : pour sa future fête d’anniversaire, le patron du studio de Sony, Tom Rothman a demandé à chaque participant de s’habiller dans le style d’un des films produits sous son règne dans différents studios. L’article continuait en grinçant gentiment que les convives auraient l’embarras du choix puisque que Rothman dirige des studios depuis plus de 30 ans, et qu’il allait allègrement fêter ses 70 ans, sans la moindre intention de prendre sa retraite.
Et il n’est pas le seul, loin de là : Bob Iger, 73 ans et 20 ans à la tête de Disney, Michael de Luca, bien plus jeune avec 59 ans au compteur, et actuel directeur de MGM, mais avec lui aussi une carrière de 30 ans à la tête de studios. Et la même chose peut être dite des puissantes agences de comédiens, dont tous les principaux dirigeants, arborant autrefois des looks de golden boys, ont tous largement viré vers l’argenté.
La corporate ladder est cassée
Comme le dit le titre de l’article du Hollywood Reporter, avec d’aussi longues carrières au sommet, l’ascenseur promotionnel cale rapidement, et toute une génération “d’executives” se sent coincée, attendant simplement de se faire virer dans les vagues de licenciement consécutives qui frappent les studios.
C’est que si, certes, d’autres nababs ont eu une longue carrière dans l’histoire d’Hollywood, le système des studios a néanmoins toujours réussi à faire une place à de jeunes pousses, qui étaient chargés d’apporter du sang frais. Ainsi, Selznick a pris la tête de la RKO à l’âge de 28 ans, Jeffrey Katzenberg dirigeait la Paramount à 31 ans, et Disney à 35. On pourrait encore citer Robert Evans, qui a dirigé la Paramount à l’âge de 38 ans, avec à l’époque une seule production à son actif. Il y est resté un peu plus de 15 ans.
En 1986, l’âge moyen des directeurs de studios était de 35 ans.
Et puis, la génération des années 90 est arrivée. Pour ne jamais quitter le pouvoir.
Comme le décrivent les quelques intervenants anonymes cités dans l’article du Hollywood Reporter, on se retrouve avec des gens au sommet des studios qui sont 2 à 3 générations au-dessus des personnes auxquels leurs films sont sensés s’adresser. Et qui sont, tous à leur niveau, en train de travailler à un revival de leur propre jeunesse, à travers des reboots nostalgiques de Ghostbuster, de Dirty Dancing, ou d’Un Officier et un Gentleman.
La disparition du film à moyen budget
Et l’article de s’interroger : où sont ces producteurs qui ont greelighté French Connection, Rosemary’s Baby, Boogie Nights et tant d’autres ? Réponse, sans doute au fond d’un bureau, à attendre l’approbation d’un sexagénaire ou d’un septuagénaire avant de débloquer le moindre dollar. Approbation qui ne viendra sans doute jamais.
Or, dans cette période de 30 ans, une autre modification drastique du paysage hollywoodien s’est opérée : la raréfaction, pour ne pas dire la quasi-disparition du film à budget moyen, traditionnel vivier des jeunes talents.
Et là, c’est une autre information, parue le même jour, qui nous apprend qu’entre 2004 et 2019, le nombre de films qui rapportaient entre 50 et 100 millions de dollars au Box Office a diminué de 40%. Et que ce nombre devait représenter environ 261 millions de tickets vendus en moins sur cette période.
Mais d’où viennent ces chiffres ? D’une nouvelle entreprise créée par d’anciens représentants du syndicat des exploitants de salles, qui lance un service permettant à des petits films indépendants de trouver des salles sans passer par un distributeur.
Il s’agit donc de prendre ces chiffres avec toutes les précautions d’usage, puisqu’ils servent le marketing de cette nouvelle initiative, au demeurant intéressante étant donné la concentration du milieu de la distribution aux Etats-Unis.
L’aversion au risque
Mais ces chiffres rencontrent, par l’autre bout, la problématique du vieillissement des décideurs des grands organes hollywoodiens. Car ce vieillissement n’est sans doute pas juste le fait de quelques vieux croûtons qui s’accrochent à leurs prérogatives. Il est bon de rappeler par exemple que Bob Iger a bien laissé les rênes de Disney pour quelques mois, en 2021, au profit d’un nouveau dirigeant, Bob Chapek, 61 ans à l’époque.
Il est clair aujourd’hui que les actionnaires des studios ne veulent plus prendre de risques inconsidérés en mettant à leur tête, et encore plus à la tête des départements de production, de jeunes têtes brûlées susceptibles de s’engager sur des paris un peu fous.
Il serait difficile de distinguer la cause de la conséquence dans ce nouveau moment de l’histoire hollywoodienne : est-ce l’abandon des films plus risqués à plus petits budgets au profit de la multiplication des tentpoles movies qui a conduit au vieillissement des dirigeants ? Ou, à l’inverse, est-ce le vieillissement des dirigeants qui a amené à abandonner progressivement l’aspect recherche et développement ?
Usine à Oscars
Alors, certes, nous ne disons pas que ces plus petites productions ont disparu, mais se elles concentrent plutôt des projets de prestige, des candidats aux Oscars, et ne sont plus traitées comme des films prioritaires, ni comme de lieux d’expérimentation, de recherche de nouveaux publics. Les line-ups des branches “indépendantes” des studios sont remplis de projets des vieux auteurs maison (Clint Eastwood, Wes Anderson, Guillermo Del Toro), de biopics réalisés là aussi par des valeurs sûres comme James Mangold, ou de films d’horreur.
Et on désespère donc de trouver le nouveau Quentin Tarantino ou Paul Thomas Anderson dans ces rangs.
Ce qui ne veut pas dire qu’Hollywood n’arrive plus à attirer du sang frais, loin de là. Seulement, ce n’est plus elle qui fait l’effort de les chercher et de les faire grandir. Les auteurs de leurs gros films viennent du Mexique, de Nouvelle-Zélande, du Canada, d’Espagne, etc. Là aussi, ça a toujours été le cas à Hollywood, et le mouvement s’est accéléré il y a plus de 30 ans, quand on allait chercher John Woo et Tsui Hark pour faire tourner Jean-Claude Van Damme, John Travolta puis Tom Cruise, ou Afonso Cuaron pour tourner un Harry Potter.
Internationalisation de la recherche et développement
Pour les petits et moyens pays, cet abandon du créneau du film à budget moyen et esthétiquement osé est évidemment une opportunité d’aller chercher un public curieux, avide d’histoire racontées autrement. Puisqu’Hollywood n’a plus l’envie de prendre des risques à produire le nouveau Slumdog Millionnaire (réalisé par un anglais) ou le nouveau Drive (réalisé par un Danois), il y a de la place pour des films au budget entre 15 et 50 millions, qui puisse allier l’ambition et l’audace.
Et c’est justement ce qu’on commence à voir avec par exemple un film comme L’Amour Ouf, qui se place au niveau d’ambition d’un Amélie Poulain. Ou le projet d’adaptation de Blake et Mortimer que porte Belga.
Cette paresse et ce manque d’audace d’Hollywood, qui s’encroûte de plus en plus dans une vision gestionnaire, est peut-être le signal d’une reconfiguration mondiale de l’offre cinéma, où les pays moyens comme la France, l’Espagne, l’Allemagne, pourraient reprendre le flambeau de créer les nouvelles générations de voix. Pour les petits pays, comme nous, l’étau risque de se resserrer encore un peu plus. Et les choix stratégiques des années à venir vont être déterminants.