07 Avr 22

La bataille du glocal

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Au courant du mois de mars dernier, le petit monde de la production européenne s’est donné rendez-vous à Lille. La raison ? La première édition post-Covid du festival Séries Mania, qui accueillait les grands streamers américains: Netflix, Amazon Studios et, surtout, HBO, qui venait exposer sa stratégie de contenus pour l’extension en Europe de son service HBO Max.

Résolument positionné séries de qualité, ou séries d’auteur si l’on préfère, le studio HBO attise toutes les convoitises européennes. Et ça n’a pas manqué : la file à l’entrée de leur “keynote” était dantesque.

Pourtant, rien de vraiment étonnant dans le discours des responsables européens de la plateforme: ils répètent le même mantra que la concurrence: on veut du glocal.

Le mot valise est d’autant plus facile à décrypter qu’il est dans la bouche de tous les acteurs majeurs. Glocal désigne un contenu à fort ancrage local mais qui peut avoir un attrait global. Entendez: toucher tous les marchés.

Je ne vais par rentrer dans l’idéologie très “soft power” qui sous-tend ce genre de discours, cette volonté de voir l’American Way of Life (ou en tout cas l’American Way of Thinking) déclinée dans toutes les langues.

Mais, ce qu’il y a lieu de remarquer, c’est que cette manière de voir la production de séries infuence jusqu’aux plus petits acteurs locaux: ceux de notre petit pays.

C’est que, évidemment, être un acteur local, aujourd’hui, c’est être pris dans un étau. Il faut attirer le public qui fuit en masse la télé de papa, lancer de jeunes talents, puis ensuite, les garder! La liste des “transfuges” commence à sérieusement s’allonger: la nouvelle série de Fanny Herrero, la créatrice de 10% est sur Netflix, celle de Simon Astier, après Hero Corp pour M6 est chez Warner et donc HBO, Grond, Adil El Arbi et Bilall Fallah est rachetée par Netflix. Pour ne parler que des exemples les plus proches.

Sans compter, évidemment, que les services de streaming sont le client international n°1 des productions locales, ce qui équivaut à un sérieux pied dans la porte des marchés locaux.

Quelles solutions s’offrent à nos acteurs nationaux, qu’ils soient privés ou publics? Elles sont de deux ordres.

  1. Rentrer de plein pied dans la guerre des contenus. En sachant que cette guerre est presque perdue d’avance. Ou en tout cas, qu’elle sera un éternel recommencement. Je mentionnais dans un précédent podcast que le poids de la recherche et développement resterait à charge du producteur. Le rôle de ces “petits” acteurs nationaux serait alors, comme les guichets de financement public, de devenir les incubateurs de nouveaux talents, qui tôt ou tard, partiront sous d’autres cieux, financièrement plus accueillants.
  2. Cultiver des réseaux, à la fois nationaux et internationaux. On arrive tout doucement à la fin d’une période de consolidation des acteurs. A une mise en ordre de marche des acteurs traditionnels pour le marché du streaming. La Flandre a ouvert la voie avec d’un côté VRT Nu pour le secteur public, et Streamz du côté du privé - et dans une moindre mesure GoPlay. Du côté francophone, cette structuration est plus pénible. Il y a bien sûr Auvio, pour la RTBF, qui a atteint son rythme de croisière. Mais du côté privé, ça patine. Nul doute que le rachat du groupe RTL par Rossel et DMG (qui est déjà derrière la création de Streamz), va accélérer le mouvement. Dautre part, la structuration en réseaux internationaux se passera probablement par le rachat entre services de concept et contenus : la série suédoise Skam a ainsi été déclinée en France, Match, un concept norvégien et Dertigers, série flamande à succès, vont bientôt voir le jour sur le service de la RTBF.

On sent bien derrière cette restructuration globale du marché du “petit écran” le même type de poussée qui secoue le monde du cinéma traditionnel. A la fin du grand chamboulement, on risque de ne plus avoir que des “grands” et des “petits”. Tout le monde du milieu, les acteurs moyens, vont se trouver devant un choix: prendre le risque de grossir, et réduire la voilure. Etre dans le camp du glocal, ou de l’hyperlocal, éventuellement déclinable.

Pour notre petit pays, qui commence à peine à faire ses armes dans le monde de la fiction télé, ce choix doit se faire presque dans la précipitation. Il n’y a aucune solution meilleure que l’autre. Il existe des fictions de qualité des deux côtés de la barrière. Mais il faudra pour chacun, diffuseurs et producteurs, faire ce choix, histoire de garder son indépendance par rapport aux flux incessants des contenus.


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