27 Juin 23

La panique technologique et le cinéma

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La fin du monde est proche, mes amis.

La singularité, ce moment où les machines vont acquérir leur autonomie, est à nos portes. Pendant ce temps les anarcho capitalistes à tendance fasciste derrière les cryptomonnaies préparent notre asservissement monétaire, et Netflix, Amazon, Disney, Google et Meta veulent nous aliéner à grand coups d’algorithmes.

Tout cela est de la caricature, bien sûr, mais résume assez bien les paniques néo-millénaristes du moment.

Cette peur d’être mangé par la technologie et les grandes corporations ne date pas d’hier et n’épargne pas le cinéma.

Des inquiétudes légitimes. Et des inquiétudes éxagérées.

Et bien évidemment, tout n’est pas faux. Parmi les revendications principales des scénaristes grévistes d’Hollywood, figurent aux premières places les pressions salariales qu’exercent les streamers sur les scénaristes et la menace sur la propriété intellectuelle des scénarios dans le cas d’utilisation d’une Intelligence Artificielle dans le processus créatif.

Si ce n’est que ces interrogations et revendications fort légitimes débordent souvent dans les discours quotidiens vers des choses qui tiennent du pur délire paranoïaque.

Il y a quelques semaines de cela, dans un article intitulé “The algorithm is still a lie”, un auteur qui se fait appeler The Entertainment Strategy Guy, tient le raisonnement qu’une grande part des phantasmes sur les algorithmes ne tiennent pas debout.

Et d’énumérer les dizaines d’articles qui débitent les mêmes fadaises sur le sujet, ainsi que toutes les start-up qui tentent de se faire une place au soleil en surfant sur les préjugés.

Parmi ces phantasmes, il y en a un qui reste aussi tenace que faux: celui que les grands studios (et surtout les streamers) dicteraient leurs choix éditoriaux voire artistiques à partir d’algorithmes.

C’est quoi, un algorithme ?

Ce qui, en lisant l’article, est effectivement d’une idiotie flagrante. Ou en tout cas une méconnaissance de ce qu’est un algorithme et de comment il fonctionne.

Ce que soutient l’auteur c’est que, même avec un algorithme excessivement bien pensé, il est tout simplement impossible de trouver des critères de succès d’un produit audiovisuel. Et cela parce que l’algorithme en question n’aurait juste pas assez de données pour dégager de telles tendances.

Toutes ces plateformes ont beau avoir des centaines de millions d’abonnés, elles ne peuvent appairer ces abonnés qu’avec le nombre d’objets audiovisuels qu’elles ont en catalogue. Or, ce nombre est en fait en constante diminution, puisqu’avec le jeu de la concurrence acharnée qu’elles jouent entre elles, chacune de ces plateformes garde jalousement son propre catalogue, et les retire de ses concurrents.

L’auteur calcule ainsi que, à ses débuts dans l’ère du streaming, Netflix pouvait allègrement proposer quelque-chose comme 100.000 titres différents, puisqu’ils avaient accès au catalogue de tous les studios via leur activité de distributeur de DVD. En 2022, leur catalogue est tombé, aux Etats-Unis, à 6.473 titres.

Impossible, sur base d’un corpus si petit, de prévoir comment écrire un scénario qui plaira à un certain type d’audience, même si on compte des centaines de millions de vues.

Mieux, même si on prenait l’ensemble du corpus filmique actuel, qui se chiffre à quelque-chose comme 1.500.000 oeuvres si l’on prend comme base les fiches IMDB existantes, ce ne serait toujours pas suffisant.

Même avec des données suffisantes …

Mais on peut aller encore plus loin. Prenons des entreprises qui sont en mesure de réellement brasser un nombre de données suffisantes pour faire fonctionner de tels algorithmes. Il n’y en pas énormément : Amazon peut-être, le groupe Meta, et le groupe Alphabet. A travers leurs activités de médias sociaux ou de moteurs de recherche, ils brassent des milliards de données. Données qui, qui plus est, ne cessent de s’agrandir.

Ce qu’on remarque pourtant, c’est que le seul modèle économique qu’elles ont réussi à en dégager est celui de la pub. Modèle qui se base en fait sur un moteur de recommandation, rien de plus. Ce ne sont donc pas vraiment les données entrantes qu’elles traitent, mais la distribution des données sortantes. Comme Netflix. Dont l’algorithme ne sait faire rien d’autre que de suggérer, de manière bancale qui plus est, du contenu similaire à ce qu’on a déjà consommé.

Car même ces géants, qui seraient d’après la croyance populaire capables de guider nos pensées et nos actes, malgré ces dons de clairvoyance, accumulent les échecs commerciaux, les lancements de produits ratés.

On pense à Stadia, le service de streaming de jeux vidéo de Google, à Google + la tentative ratée de prendre le virage des réseaux sociaux. On pense aussi, évidemment, au Metaverse sauce Zuckerberg, et à toutes les autres tentatives avortées de faire amorcer un virage à Facebook via la vidéo, puis les groupes.

Il est quand-même étonnant de remarquer à quel point ces sociétés tirant soi-disant les ficelles de nos vies quotidiennes naviguent en fait à vue.

Et l’IA ? Pas mieux.

Mais il y a une autre catégorie d’algorithmes qui nourrissent toutes les peurs des éditorialistes en mal de sujets, c’est l’Intelligence Artificielle. Comme toutes les nouveautés technologiques, elle est décrite comme une avancée majeure, une révolution.

Si j’ai moi-même dit dans ces chroniques qu’elle pouvait effectivement apporter quelques modifications, c’est tout de même principalement dans la partie légale de l’affaire. L’IA n’est qu’un outil, incapable de création. Si création il y a, elle n’est que dans l’oeil de celui qui regarde les résultats qui sortent de la machine. C’est donc, comme je l’ai déjà dit, un possible auxiliaire à la création, tout comme des haltères aident à se muscler. Mais c’est tout de même vous qui devez soulever les poids !

Au même titre qu’un algorithme ne peut pas prédire si l’ajout d’une touche comique à la 45e minute d’un drame rendra le film plus apprécié, une IA ne peut pas créer le scénario d’un film, encore moins d’un succès populaire garanti. Tout simplement par manque de corpus disponible.

Les IA et donc les algorithmes ne peuvent que tirer des tendances à partir des données qu’elles ont à leur disposition. Au moins ces données sont nombreuses, au moins ces tendances seront précises. C’est aussi simple que cela.

Et donc non, ni Netflix, ni Disney, ni Amazon ne sont capables de produire à la chaîne des contenus addictifs. Croire le contraire, c’est croire au discours marketing que ces entreprises ont elles-mêmes forgée, trop heureuses de se montrer disruptives.


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