14 Sep 22

La publicité sur les plateformes : une nouvelle disruption ? (2/2)

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La semaine dernière, on a exploré pourquoi l’introduction de la publicité sur les plateformes est une réelle stratégie. Cette semaine on va essayer d’imaginer quelles peuvent être les conséquences d’une telle stratégie.

Pour cela, interrogeons-nous d’abord sur ce que sera la publicité sur ces plateformes. Les plateformes - Disney + , Netflix, Amazon, HBO Max - sont à la croisée de deux mondes. Pour la plupart d’entre elles, elles sont issues du vieux monde. Celui de la production et de la distribution audiovisuelle classique. Avant d’être des streamers, elles ont été des producteurs de films, d’émissions de télé, des câblodistributeurs, des distributeurs de DVD. Et, pour Amazon, seule exception à la liste, des distributeurs de produits culturels physiques, livres puis DVD.

Lean back, lean forward

Aucune, donc, n’a dans ses gênes d’être une entreprise technologique comme peuvent l’être Microsoft, Google ou Meta. Ce sont des entreprises qui se servent de la technologie pour étendre leur business model. Quelle différence cela fait-il ? La différence est dans ce que certains marketeurs anglo-saxons appellent la “lean back experience” et la “lean forward experience”.

La lean forward experience, c’est celle des entreprises technologiques. L’usage-même de la technologie y est centrale. On utilise une OS et une suite d’outils bureautiques de Microsoft, on cherche des réponses via Google, on cherche des infos sur nos proches et les sujets qui nous intéressent dans les outils Meta. L’intention est l’outil. Ce n’est pas ce qu’on y cherche qui importe, mais la manière dont on les trouve. Et l’utilisateur doit s’impliquer dans l’utilisation de l’outil.

Dans la lean back experience, ce n’est pas l’outil qui compte, c’est le contenu qu’il charrie. Netflix, Disney + ou HBO Max n’ont aucune valeur sans leur catalogue. Un nombre déjà incalculable de plateformes se sont effondrées sur cette méconception. La technologie qui sous-tend le service n’a aucune valeur. Seul le catalogue compte. Ici, la technologie s’efface toujours, et a même vocation à être la plus invisible possible. Le but final est la consommation, avec le moins de friction possible, des contenus qu’elle propose. L’important ici est de consommer ce qu’on cherche, peu importe la manière dont cela nous arrive. Pour le spectateur, l’expérience optimale est quand il oublie l’outil. C’est une relation passive.

La relation à la publicité

Or, ce n’est pas la même chose de servir une publicité à une personne qui est dans une posture active qu’à une personne en posture passive. Qu’on s’entende bien, c’est toujours la même nuisance. Quelque-chose vient s’intercaler entre lui et l’information qu’il vient chercher.

Dans une relation active, lean forward, celle des réseaux sociaux, en gros, il faut capter l’attention, et la détourner suffisamment longtemps de son intention initiale. L’amener à arrêter de scroller, à ne pas cliquer sur le bouton “skip ad”. Il faut être agressif, convaincant en quelques mots, en une image, en 5 secondes de vidéo. Il faut être en relation directe avec un besoin supposé de la cible.

Dans une relation passive, lean back, on a déjà l’attention. Le spectateur est déjà dans une posture de consommation. Inutile de détourner son attention. On est déjà devant un “cerveau disponible” comme disait l’autre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut rien faire. Cette disponibilité, il faut la mériter. Servir des messages qui apportent de la valeur à chaque spectateur.

La pub sur les plateformes, une approche duale

C’est là que la pub sur les plateformes va changer la donne. La pub sur les médias traditionnels - presse, télé, radio, cinémas - applique la logique du tuyau d'arrosage. On balance le même message à un grand nombre de personnes, en espérant qu’une petite fraction passe à l’action, et donc à la caisse. La révolution qu’ont apporté les géants du net que sont Meta et Google, dominateurs du marché de la pub, c’est la granularité. La logique du goutte à goutte. Ne servir le message qu’à ceux qui sont le plus susceptibles d’y réagir. Ne pas dépenser un centime de trop vers des publics qui ne deviendront pas potentiellement clients.

Ce que vont apporter les plateformes dans cet univers dual, c’est la granularité aux annonceurs qui jusqu’à présent appliquaient la logique du tuyau d'arrosage. C’est servir à un public “passif” un message qui leur convient le mieux possible.

Mais comment y arriver ? Google est devenu le spécialiste du ciblage par intentionnalité, tandis que Meta crée un ciblage basé sur un halo de centres d’intérêt. Les plateformes (mis à part Amazon, encore une fois) n’ont à leur disposition que quelques données démographiques (l’âge, le lieu de résidence, la composition du ménage) et des habitudes de consommation. C’est peu pour concurrencer les deux géants du digital. Mais c’est beaucoup pour concurrencer la pub traditionnelle.

Un nouveau marché ?

Ce qui est clair, c’est que ce nouveau créneau publicitaire n’est pas là pour s’ouvrir un nouveau marché, comme ça a pu être le cas avec Google et Meta. Eux deux se sont créé un marché à eux, dirigé vers les petits commerces, les très petites entreprises ou les auto-entrepreneurs. Netflix et consorts veulent grignoter une part de marché déjà existante. Celle de la pub plus haut de gamme. Celle des télés nationales, de la presse, voire de la publicité OOH (affichage en rue et autres). Je ne dis pas que Youtube ne verra pas une partie de ses revenus chuter. Mais on ne verra sans doute pas sur Netflix ou Disney + les pubs de coaches divers, faites à l’iPhone au volant d’une voiture de luxe de location.

Voilà, évidemment, le vrai risque. C’est dans la manne publicitaire existante que viennent taper les nouveaux entrants. Celle de médias impliqués, à des degrés divers, dans le processus de production de nos créations. Ou de médias qui en sont les relais de promotion habituels. Or, ces médias sont déjà affaiblis par la baisse des recettes publicitaires et par des choix politiques, comme c’est le cas en France avec l’abandon de la redevance. Mais encore par une concurrence de plus en plus accrue de concurrents étrangers, comme le fait TF1 chez nous par exemple.

On peut se dire que la manne passe simplement d’une main à l’autre, et que les pertes des uns font les recettes des autres. Netflix et consorts produiront plus de produits locaux. Mais est-ce que ce sera vraiment le cas ?

Danger sur la production locale

Si vous avez déjà fait de la publicité sur Facebook ou sur Youtube par exemple, vous savez que les factures vous viennent tout droit d’Irlande, du Luxembourg ou de tout autre pays à la fiscalité avantageuse. Il n’y a aucune raison qu’il n’en soit pas de même des nouvelles régies publicitaires de Microsoft/Netflix ou de Disney.

Dans ces conditions, comment calculer la manne publicitaire captée par les plateformes? Comment la calculer dans les recettes nationales et donc dans la part de ces recettes à consacrer à la production locale ?

Bien sûr, je spécule. Il est très difficile de savoir avec précision comment le marché publicitaire va évoluer. Et d’autres facteurs entrent en jeu. De nouvelles législations voient le jour pour augmenter la transparence des plateformes et garantir une concurrence saine. Qui plus est, notre petit pays est peut-être, paradoxalement, plus à l’abri de ces remous que des nations aux systèmes de production plus structurés, comme la France ou l’Espagne.

Il n’empêche que le pouvoir de déstabilisation de cette nouvelle donne est bien réel. Et qu’il faudra au moins le prendre en compte.


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