Amazon, Netflix, Apple. Ces trois-là, il va falloir les attacher chacun à une pale d’éolienne, parce qu’ils sont en train d’inventer le mouvement perpétuel en ce qui concerne leur relation au cinéma.
Quand l’un annonce qu’il investira plus dans le cinéma, l’un des deux autres réduit sa propre voilure tandis que le troisième change carrément de stratégie.
La valse des stratégies
C’est, une fois encore, ce qui vient d’arriver ces derniers jours : Apple est prêt à investir 1 milliard de dollars pour que ses prochains films, signés par de grands auteurs toujours à l’affût d’opportunités, comme Martin Scorcese ou Ridley Scott, soient largement diffusés en salles avant une exploitation sur leur plateforme.
Pour sa part, Netflix restructure son département cinéma, pour produire moins de films (ils en étaient à 1 par semaine!), mais plus prestigieux. Pour cela, ils ont fusionné leur département petit et moyen budget, et donné plus de moyens au département des budgets élevés. Tout cela, sans faire de déclaration sur une éventuelle exploitation en salles de ces nouveaux films haut de gamme.
Enfin, Amazon continue certes sur sa lancée de produire des films pour le cinéma, surtout depuis son rachat de MGM, mais ces derniers mois ont été difficiles. Un long article du Hollywood Reporter passe en revue ces difficultés : la plateforme a lancé toutes ses forces dans la production de la série Le Seigneur des Anneaux, sans vraiment atteindre les résultats escomptés pour une production aussi pharaonique. Et l’inquiétude point sur la ligne éditoriale jugée erratique, mais surtout sur l’investissement dans le sport, qui semble rapporter plus d’abonnements prime que tous les efforts consentis en fiction réunis.
Et, il faut bien le reconnaître, les listes de productions de la MGM pour les années à venir ont l’air bien vides. 4 films sont prévus en 2023, dont un pour Amazon Prime, et 26 sont sur les listings jusqu’en 2029. Soit entre 4 et 5 par an, dont une bonne partie atterriront directement sur Prime Video.
Eternel recommencement
Ce qui serait vraiment étonnant, ce serait de s’étonner de ces constants revirements. Si ce sont ces trois-là qui défraient la chronique, c’est parce que ce sont les “pure players” de la nouvelle donne audiovisuelle. Ce sont les 3 seuls grands pontes du streaming et de l’exploitation qui n’ont pas un lien historique avec la salle de cinéma.
Leur business model vient d’ailleurs. Apple vise, par ses abonnements, à fidéliser sa clientèle autour de ses appareils en environnement fermé. Amazon, lui, vise à attirer par son offre vidéo plus de personnes vers son abonnement Prime, ce qui augmente le nombre de commandes sur ses plateformes. Quand à Netflix, il est le seul à avoir l’abonnement comme unique business model.
En clair, et c’est ce que leur reproche le reste de l’industrie, ces trois-là ont un rapport beaucoup plus distant à l’économie classique du cinéma. Un rapport d’industrie de la tech.
Ce qui les intéresse dans la salle, ce n’est pas les recettes, c’est l’appareil marketing. La présence dans les festivals prestigieux, les prix, la couverture presse. Leur objectif, pour le dire cyniquement, c’est de sucer ce qui les intéresse du vieux monde.
D’où cette valse-hésitation constante. D’un côté ils désirent le prestige du cinéma. Ils veulent attirer les grands noms, les Fincher, les Cuaron, Campion, Allen, Scorcese et les autres. Qui, eux, exigent de plus en plus que leur film soit exploité en salles. De l’autre, il y a l’impératif d’alimenter leur propre business model.
Business model qui, lui-même, est en évolution constante. On l’a dit et répété, ces sociétés, même si elles ont toutes maintenant plus de 20 ans, continuent à penser comme des start-ups. Elles sont toujours en train d’adapter, voire de bouleverser leur mode d’acquisition de profits. Elles seront toujours prêtes à abandonner dans 6 mois les engagements qu’elles ont prises la semaine dernière.
La danseuse et son mécène
Pour elles, le cinéma est une danseuse, dont seul le prestige les intéresse. Malgré toutes leurs déclarations d’amour pompeuses, elles seront prêtes à l’abandonner si de meilleures opportunités de croissance s’offrent à elle.
Le cinéma, lui, s’accommode très bien de ces mécènes intéressés aux grandes poches. La réalité historique est que ce genre de grands financeurs vont et viennent dans le monde du cinéma depuis plus de cent ans. Tout comme ceux qui pensent révolutionner le cinéma. Les géants de la tech n’en sont que les derniers représentants.
L’industrie du cinéma a toujours su tirer avantage des rêves de grandeur de ceux qui viennent le financer. C’est même, en quelque sorte, son mode de fonctionnement. Le cinéma est un parasite enjôleur qui a la peau extrêmement dure.
Inutile cependant de nous voiler la face, le streaming et ses profits mirifiques bouleverse l’équilibre de l’industrie audiovisuelle. Mais pour combien de temps ?
Fondamentalement, rien n’est éternel. Si ce n’est le désir de se raconter des histoires.