Parler d'image de marque dans la culture, c'est pour beaucoup faire entrer le loup de la logique commerciale dans la bergerie de l'art.
Les acteurs culturels sont des gens discrets. La plupart d'entre eux basent leur stratégie de communication sur leur "produit" - les films qu'ils distribuent, les groupes qu'ils promeuvent, les artistes présents à leur festival - plutôt que sur leur identité propre.
Et cela se comprend. L'industrie culturelle est une industrie du prototype. Chaque nouveau film, chaque artiste porte par définition un univers unique, et s'adresse à des publics différents. Unifier tout cela sous une même bannière, c'est prendre le risque de s'aliéner une partie de son auditoire.
Quel intérêt alors de se donner une visibilité de marque ? Tout simplement à se donner les moyens de penser sur le long terme. Car c'est le paradoxe des acteurs culturels : comment péréniser une activité basée sur des productions éphémères ? C'est là que le concept de marque prend tout son intérêt.
A quoi sert une marque ?
Entendons-nous d'abord sur une définition de la marque. Que l'on soit juriste, marketeur ou économiste, le concept ne recouvrira pas la même réalité. Mais toutes les définitions s'accordent par contre sur un point : la marque est ce qui distingue une entreprise.
La marque est un signifiant sur lequel vous allez accrocher vos valeurs
C'est le drapeau qui indique votre territoire. C'est en quelque sorte ce qui institue la personnalité de votre entreprise.
Cela peut paraître un lieu commun mais c'est le prérequis de tout dialogue : savoir identifier son interlocuteur. Si vous désirez communiquer avec votre auditoire, celui-ci voudra savoir à qui il parle.
Les 3 exemples dont je vais vous parler ci-dessous sont tous ici du secteur du cinéma, tout simplement parce qu'il s'agit du milieu dans lequel j'ai principalement évolué. Mais on peut trouver des cas similaires dans l'édition, la musique ou tout autre forme culturelle.
Tous les 3 vont nous permettre de tirer 5 conclusions pour mener à bien une stratégie de promotion culturelle de long terme.
Exemple n°1 : l'empire Disney
Voilà sans doute le mètre-étalon de l'application d'une logique de marque dans un contexte culturel. En une quinzaine d'années, Disney est passé de studio un peu ronronnant spécialisé dans le cinéma familial à un mastodonte audiovisuel.
Que s'est-il passé ? Sous l'impulsion de Bob Iger, Disney se lance dans la restructuration de son offre en différentes marques distinctes : Disney et Pixar, auxquels viendront s'ajouter ensuite Marvel, Star Wars et aujourd'hui la Fox. Chaque film sorti sous l'une de ces bannières ne mise plus sur les talents (acteurs, réalisateur, voire producteur) pour son marketing mais sur la licence. Mis à part pour quelques cinéphiles pointus, on ne parle plus que de film Marvel ou Pixar, qui sont devenus les standards de qualité.
Résultat : dans une industrie à haut risque, où les coûts de production ont explosé, les films sortis sous la bannière des marques de Disney n'ont connu qu'un seul véritable échec commercial. Mais surtout, le géant s'est aujourd'hui ouvert toute grande la voie des possibles, et s'apprête à affronter Netflix sur le terrain de la VOD.
Alors bien sûr, tout cela se fait avec des budgets qu'on peine à imaginer et on nage là dans une logique commerciale qui ne fait pas vraiment rêver . Aussi, pour mon second exemple, on s'intéressera à une stratégie nettement moins hégémonique.
Exemple n°2 : ESC distribution
ESC distribution est un distributeur indépendant français qui opère dans un secteur en pleine crise : la vidéo. En l'espace de 10 ans, les ventes de DVD et de Blu-Ray ont baissé de près de 70%. Les grandes enseignes autant que les majors abandonnent progressivement le format.
ESC est qui plus est un distributeur "de niche", spécialisé dans la réédition du cinéma de patrimoine et les classiques du film de genre. Ils éditent néanmoins des coffrets de luxe ou des collectors à des prix au-dessus de la moyenne du marché, et se retrouvent régulièrement dans le top des ventes françaises avec des films comme Kickboxer avec Jean-Claude Van Damme ou Zombie de Georges Romero.
Leur botte secrète ? Une envie de partager leur passion décomplexée du cinéma. Toute leur stratégie est basée sur leur page Facebook. Ils y multiplient les concours, les appels à commentaire mais surtout les interactions avec leurs fans (près de 11.000 à ce jour) en répondant à leurs commentaires, en les remerciant pour leur critiques. Et le résultat est là, des centaines de commentaires et de partages, une communauté réactive, enthousiaste et exigeante.
Ce patient travail leur permet d'activer leur communauté pour financer leurs projets les plus audacieux à travers des campagnes de crowdfunding qui réunissent plus de 500 contributeurs et dépassent de 400% leurs objectifs ! Ou encore de s'offrir le luxe d'une distribution en salles de nouveautés.
Exemple n°3 : le cinéma Palace à Bruxelles
Cet exemple est un peu plus personnel puisque j'ai eu l'opportunité de mettre en place la stratégie de ce nouveau cinéma. Il illustre comment appliquer une stratégie de marque à un niveau local, dans le cadre d'un lieu physique.
Le Palace est venu s'installer dans un milieu très concurrentiel, avec de hautes ambitions en termes de fréquentation. Il se devait donc de rendre rapidement identifiable sa spécificité pour attirer le public curieux et exigeant qu'il désirait atteindre.
La stratégie marketing s'est divisée en différents axes :
- 1l'accent mis sur l'événementiel à travers de l'affichage, des programmes imprimés et un développement des réseaux sociaux,
- 2la définition d'une programmation cinéphile large et non sectaire accueillant courts, documentaires et - tabou ! - films produits par Netflix,
- 3et enfin une ouverture au jeune public.
En termes de communication, la pierre angulaire de la stratégie a été de garder une posture humble. En tant que nouvel arrivant sur le marché, il est primordial de se mettre à l'écoute de son audience. Que ce soit online ou sur place, tout était mis en place pour collecter les retours des spectateurs : les interactions avec le personnel de caisse, des campagnes d'enquête, du community management, l'analyse de la fréquentation du site internet.
Chaque événement est pensé comme un ballon d'essai qui permet de mieux comprendre les attentes du public, et ses goûts.
Ce travail a permis d'identifier trois publics-cibles privilégiés sur lesquels axer nos efforts de promotion. Avec, pour chacun, des canaux de communication correspondant à leurs propres habitudes.
Le Palace a rapidement pu positionner son image, attirer et surtout fidéliser un public suffisamment nombreux pour dépasser ses objectifs de fréquentation.
5 leçons pour une stratégie de contenu culturel réussie
A travers ces trois exemples, on a pu voir que la stratégie de marque est applicable à quelque niveau que ce soit. Et qu'il s'agit d'un levier puissant pour attirer et activer une communauté.
A ce titre, il est un excellent outil pour développer une stratégie de marketing de contenu (lien) dans les entreprises culturelles.
Cinq enseignements sont à tirer de ces cas concrets :
- la marché de masse n'existe plus, vive le marché de niche
Vouloir s'adresser à tout le monde est une illusion. Cerner une niche, la servir au mieux et essayer de la faire grandir est le meilleur moyen de se distinguer.
- Identifiez clairement vos public-cibles à travers une carte d'empathie et focalisez-vous sur eux.*
- clarifier son offre
Dans quelque secteur d'activité que ce soit, mais plus encore dans la culture, l'offre a explosé. Tout le pouvoir de décision est passé dans les mains du destinataire, le consommateur. Il veut savoir tout de suite si une offre s'adresse à lui.
En conséquence, toute stratégie tablant sur la curiosité du récepteur, l'attente, le mystère, est aujourd'hui vouée à l'échec. Ne cachez rien, montrez tout ce que vous avez à offrir, mettez en avant vos points forts et vos traits distinctifs.
Fléchez le parcours de votre destinataire.
- créer et entretenir sa communauté
En s'octroyant Marvel et Star Wars, Disney s'est en quelque sorte offert de gigantesques bases de données clients. Les deux licences ont patiemment accumulé, au cours des décennies, un public fidèle et engagé. C'est cette fidélité qui s'est achetée au prix fort : le fonds de commerce plutôt que le stock.
Gardez à l'esprit que votre communauté est votre capital le plus important.
Privilégiez l'approfondissement de vos relations avec votre communauté plutôt que tenter de l'étendre à tout prix.
- rester à l'écoute
Avoir une base de fans ne sert à rien si on les connaît pas.
Une communauté est un outil d'une valeur inestimable. C'est d'elle que vous retirez les infos pour moduler votre offre et comprendre les points de friction, grâce à elle que vous repérez des opportunités.
Facilitez au maximum les interactions en ouvrant les canaux de communication les plus pertinents.
Montrez que vous valorisez l'interaction : répondez rapidement aux messages, demandez des réactions à vos posts.
Comprenez ceux qui vous aiment déjà, et ce qu'ils attendent. C'est le meilleur moyen de les fidéliser.
- être identifiable
Vous n'arriverez pas à engager une conversation authentique avec votre communauté si elle-même n'arrive pas à comprendre qui vous êtes et quelles sont vos valeurs.
Une partie de votre communication doit porter sur les valeurs que vous défendez.
Attention, on ne parle pas ici de rentrer dans l'arène politique en soutenant publiquement tel ou tel parti, mais des valeurs de votre marque, qu'elles soient écologiques, sociales, culturelles.
Au plus vous aurez clairement défini la personnalité de votre entreprise, au plus la communication sera aisée.
Vous avez des exemples de stratégies réussies basées sur la marque dans le secteur culturel ? Vous avez une expérience à partager ? Faites-en part en commentaire au bas de cet article.