18 Déc 24

Passé et avenir de notre audiovisuel

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Je garde d’habitude les articles bilans pour les fins de saison. Mais les fins d’année sont elles aussi des périodes propices à la rétrospection. Et en remontant le fil des premiers épisodes de cette saison 4, et des discussions que ceux-ci ont parfois suscité, je ne peux m’empêcher d’y voir une certaine tendance qui mérite d’être approfondie.

Et donc, plus qu’un bilan, c’est à un exercice un peu plus périlleux que je vais m’adonner : la prospective.

Depuis le début de cette saison, on parle beaucoup d’un retour d’un cinéma belge francophone plus grand public. Que ce soit La Nuit se Traîne de Michiel Blanchart ou TKT de Florence Cicurel, des films redépassent (presque) la barre des 50.000 spectateurs sur notre territoire, ce qui n’était plus arrivé depuis la crise du Covid.

Mieux, des projets ambitieux arrivent à maturité. On a déjà eu le dernier Largo Winch, initié en Belgique même si les fonds sont internationaux. Mais on attend aussi des grandes choses du côté de Belga Studios, dont le partenariat avec l’un des plus gros acteurs du Tax Shelter en Belgique, Umedia, se fait dans la perspective de très grosses productions : l’adaptation de la BD La Marque Jaune, et le nouveau film de Jaco Van Dormael entre autres.

Sans oublier bien sûr le monde des séries, qui connaît lui aussi une montée en gamme d’année en année. Autant dans des projets de prestige, comme peuvent l’être Pandore ou 1985, que dans ce qu’on appelle l’authentic fiction avec une série comme Trentenaires, qui a fini par trouver son public. Et sans parler des premières productions de RTL qu’on attend bientôt.

Le début du nouvelle ère ?

Alors, est-ce le début d’une structuration de l’industrie audiovisuelle belge francophone ? Quels sont les points d’inflexion qui permettraient de la voir advenir ? Et quelles sont les éventuelles menaces qui sont sur son chemin ?

On l’a vu lors de la dernière chronique, l’une des tendances lourdes de ces 10 dernières années en termes de cinéma est une importance grandissante du marché local. Point sur lequel la Belgique Francophone est faible. Nous faisons un cinéma d’exportation, de prestige. Dans lequel, certes, nous excellons, mais qui s’avère sur le long terme être un frein à notre développement.

Cela rend notre industrie profondément dépendante, à la merci du moindre revirement sur lequel nous n’avons aucune prise, comme l’affaire Netflix le démontre en ce moment, qui nous prive momentanément des moyens financiers que l’entreprise injecte dans notre système. Sans parler de notre soumission au marché français, qui fait dire à certains qu’il serait impossible pour notre petite région de développer sa propre industrie.

Mais est-ce vraiment le cas ? Est-ce que, pour paraphraser un jeune homme qui a vécu il y a 500 ans, les autres, auxquels nous nous comparons, ne seraient pas grands que parce que nous sommes à genoux ?

Nouveau détour par la Flandre

Rappelons ici une fois encore l’exemple de la Flandre, qui produits films, séries, dessins animés et documentaires à succès pour son marché local, tout en étant ouvert à la culture anglo-saxonne, allemande, française ou encore nordique.

Et rappelons aussi que tout cela a commencé par une sorte d’heureuse conjonction. Non pas, comme on le croit souvent, par la naissance de la chaîne de télé VTM, mais par le succès fulgurant d’un acteur de café-théâtre, les stand-uppeurs de l’époque, et un minimum de prise de risque.

C’est en 1987 que sort la comédie Hector, avec dans le rôle principal Urbanus. Le succès est aussi imprévu que foudroyant, avec 900.000 entrées, rien qu’en Flandre. Ce n’est pourtant que deux ans plus tard, en 1989, que naît la chaîne VTM. Créatrice, selon la légende dorée, des Bekende Vlamingen. Et que sort le film suivant d’Urbanus, toujours réalisé par Stijn Coninx, Koko Flanel, financé presqu’exclusivement par les fonds d’une chaîne de vidéoclubs.

Grâce à ces deux succès, Coninx peut enchaîner avec le film le plus ambitieux du cinéma belge pour l’époque : Daens, nouveau succès, mais cette fois aussi critique. Nous en sommes en 1992, et ces succès ont assis la réputation du studio Eyeworks, qui appartient aujourd’hui à la Warner.

Mais des succès, même si moins impressionnants, la Belgique francophone en rencontre aussi. En 1989 sort Le Maître de Musique de Gérard Corbiau, énorme succès en salles, autant en Belgique qu’à l’étranger. Il sera suivi par Toto le Héros, Caméra d’Or à Cannes, déjà, mais aussi succès populaire. Et n’oublions pas la bombe C’est arrivé près de chez vous en 1992, là aussi énorme succès. Dont les retombées n’arriveront pourtant jamais jusqu’aux poches de ses créateurs.

D’une époque à l’autre

Une autre époque ? Sans doute. Mais ne vit-on pas, peut-être, un moment similaire ? Car les années ‘80, on l’oublie peut-être, c’est une époque de véritable explosion audiovisuelle. La télé popularise le clip et la pub, mais aussi la comédie et la sitcom. La vidéo s’impose dans les foyers, avec des vidéoclubs qui fleurissent dans chaque quartier. Les locations explosent. Et avec elles, l’appétence pour le cinéma, qui revit alors qu’il était déclaré mort et enterré par la télé à peine 10 ans plus tôt.

Alors certes, aujourd’hui, tous les acquis de cette période pour le cinéma ont été balayés, soit la longue traîne de l’exploitation en fenêtres et ses revenus en cascade, balayés par la vague des services de streaming et les politiques hasardeuses des studios qui les possèdent.

Mais justement, comme à l’époque, tout est à reconstruire.

Cinéma belge, année zéro (again) ?

Youtube en est au même stade que la télévision de l’époque; où se structurent déjà des conglomérats comme Webedia. La poussière de la guerre du streaming a fini de retomber et laisse voir que les grands acteurs du milieu n’ont pas tout écrasé. Et pire, souffrent peut-être de leur trop grande hégémonie. Des challengers existent encore, comme Canal +. De petit réseaux de niche, voire même locaux, gardent leurs marques.

Et puis, il ne faut jamais sous-estimer d’autres facteurs, comme ceux de politique internationale. Nous entrons dans une période plus protectionniste. Où certes l’Europe reste à ce jour encore à contre-courant, toujours arc-boutée sur l’idéologie du libre marché. Mais elle est aussi à la pointe de certains combats qui ont des influences culturelles. Sur la collecte de données avec le RGPD, la régulation des réseaux sociaux, la mise à contribution des acteurs de l’audiovisuel, avec le décret SMA. Toutes choses qui crispent au plus haut point les grands acteurs du marché, surtout Américains. Et qui crispent par ricochet leur administration.

Il n’est pas exclu que les relations se tendent, sur ces questions de soft power, avec les autres grands marchés. D’où pourrait résulter, chez nous aussi, l’adoption de politiques plus protectionnistes. Soit une plus grande clôture du marché pour les produits extra-européens.

Pour en revenir chez nous, sur notre petit territoire, le débat, politique et culturel, se porte aujourd’hui sur l’existant. La dotation et le fonctionnement de nos commissions du film et de la RTBF notamment. Sujets de toutes les inquiétudes des organes de représentation des professionnels, et des conversations dans les sauteries professionnelles.

Effort industriel

Mais si ce n’était pas là que devaient porter nos efforts ? Et si plutôt que de nous concentrer uniquement sur la préservation de nos acquis - qui sont bien évidemment indispensables, ne nous trompons pas - c’est vers la création de nouveaux secteurs du marché que nous devrions nous tourner ?

Vers la création et la professionnalisation de vidéastes vulgarisateurs, d’information et même pourquoi pas de divertissement? Sur la création d’un Webedia à la belge ?

Ou encore sur des acteurs du jeu vidéo d’envergure internationale comme l’a réussi, là encore, une entreprise flamande, Larian Studios.

Mais aussi sur une offre audiovisuelle plus variée. Ce qui veut dire, dans notre cas, plus grand-public, puisque nous excellons déjà dans le créneau du cinéma d’auteur. Il est ainsi bon de rappeler que Trentenaires, le succès dont je parlais en début de cette chronique est un concept adapté et produit par un studio … flamand. Encore eux.

On le sait et on le sent tous, la période actuelle est une période de transitions radicales et de fortes turbulences. Où il est important de garder les acquis durement accumulés. Nos organes de financements, nos fonds régionaux, nos incitants financiers. Qui ont créé le cinéma et l’audiovisuel dont on peut être fiers.

Mais il faudra aussi de la volonté industrielle, alliée à un soutien institutionnel déjà présent à travers les différents fonds de financement, pour ouvrir le jeu de la création audiovisuelle à tout ce qui la compose.

Et sans doute que, depuis la fin des années ‘80, il n’y a pas eu une période plus propice que maintenant pour le faire.


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production


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