A voir les films qui apparaissent régulièrement sur nos écrans, ou même les chiffres émanant d’officines comme l’Observatoire Européen de l’Audiovisuel, rien ne laisse penser que le secteur audiovisuel anglais soit en crise.
C’est pourtant bien le cas. La première sonnette d’alarme a été tirée dans une série d’articles du journal professionnel Screen International, en octobre dernier. Et une étude d’un syndicat du secteur, le BECTU, a chiffré, fin février, l’ampleur des dégâts.
Clarifions d’abord les choses, ce n’est pas l’ensemble du secteur qui est en crise, mais celui de la production indépendante. Rappelons, par exemple, que de nombreux films de la Warner, dont Barbie, sont en grande partie tournés dans des studios anglais. Mais, on le verra, cela fait partie du problème.
Que se passe-t-il en Angleterre ?
La première des choses est de dire que le secteur suit une crise plus profonde de la Grande-Bretagne elle-même. En conséquence, comme beaucoup d’autres organismes publics ou parapublics, les institutions qui financent traditionnellement le cinéma indépendant, le BFI, la BBC ou Film4, font face à une cure d’austérité.
Autre source de financement qui s’est tarie : les fonds de l’Union Européenne, auxquels le cinéma anglais n’a plus accès depuis le Brexit. A quoi s’ajoute une plus grande difficulté à exporter les films en Europe, puisque ceux-ci ne rentrent désormais plus dans les quotas européens.
Oui, mais l’industrie peut compter sur l’arrivée des streamers, et, on l’a vu, sur l’apport des studios Hollywoodiens, qui viennent tourner leurs blockbusters sur l’île.
Et c’est vrai que l’Angleterre reste, à ce titre, le plus gros producteur d’Europe, et le plus important fournisseur des plateformes.
Grandeur et dépendances
Mais, justement, cette situation de dépendance tourne elle aussi à la malédiction. Outre le fait que les majors accaparent les studios, ils font également monter les prix, au point que les productions indépendantes deviennent encore plus difficiles à monter … et crée un chômage encore plus exacerbé dans le secteur.
D’autant que, forcément, cette dépendance à Hollywood implique que l’Angleterre subit aussi les moindres soubresauts de la situation politique américaine. Comme quand une grève historique bloque le processus de production pendant 6 mois.
Si bien que la situation est aujourd’hui décrite comme sinistre par les acteurs du milieu. Screen calcule ainsi que les producteurs indépendants, devant mettre de plus en plus de leurs deniers dans la balance, ne se rémunèrent en moyenne que pour 17.000 Livres Sterling par an. Et ce n’est évidemment pas leur rémunération nette, puisqu’on parle d’indépendants…
68% de chômeurs
Les choses ne sont pas beaucoup plus brillantes du côté des techniciens et petits acteurs. Le sondage fait par la BECTU auprès de 4000 de ses membres révèlent que 68% d’entre eux ne travaillaient pas au moment du sondage. Et un tiers n’avaient pas travaillé un seul jour lors des 3 mois précédents. Un tiers également envisageaient de quitter le métier dans les 5 ans.
Reste alors à se tourner vers ce qui fonctionne pour l’instant, à savoir tourner pour les studios ou les plateformes. Ce qui, certes, est rémunérateur à court terme, mais est dans le même temps en train d’assécher la propriété intellectuelle locale, qui est la réelle source de revenus de l’audiovisuel, à long terme.
En bref, sans un sursaut politique et économique majeur, le cinéma indépendant anglais n’a d’autre choix que de couper la branche sur laquelle il est assis.
Bien évidemment, on aurait beau jeu de ricaner sous cape, en se disant que les Anglais paient leur arrogance vis-à-vis de l’Europe et leur volonté de se tourner vers leur partenaire atlantique.
Une spécificité anglaise ?
Ce serait là faire une analyse à courte vue. Tout d’abord parce que le Brexit n’est qu’un des facteurs de la crise actuelle. Mais aussi parce que la situation de l’Angleterre n’est peut-être pas si différente de la nôtre, à notre toute petite échelle.
Car le gros des soucis anglais viennent qu’ils ne sont plus tout à fait maîtres de leur destin. Ce sont des décisions, politiques, sociales et économiques prises ailleurs qui les mettent dans la tourmente. C’est leur trop grande dépendance au grand frère culturel, les Etats-Unis, qui les ont piégés.
Et cela, c’est quelque-chose qui pourrait bien nous arriver, à nous aussi, petits belges francophones.
Nous aussi, nous sommes dépendants, culturellement, économiquement, mais de plus en plus également en termes de législation, d’un pays bien plus grand que nous. Nous aussi, jour après jour, nous adoptons - voire subissons - toujours un peu plus les us et coutumes de notre grand voisin : ses tarifs qui montent, ses agents qui font monter les enchères, ses réglementations tatillonnes inadaptées à notre économie. Nous aussi, nous dépendons toujours plus de tournages venus de l’étranger, commandités par des plateformes parce que nos tarifs sont pour l’instant moins élevés qu’ailleurs, et nos incitants plus intéressants. Jusqu’à ce qu’ils ne le soient plus.
On le voit avec l’exemple de l’Angleterre. Ce n’est pas la taille de l’industrie concernée qui peut faire vaciller une économie audiovisuelle. C’est sa dépendance à une culture plus forte qu’elle. Une forme de vassalisation, aujourd’hui exacerbée par la mondialisation des intérêts des plus grands acteurs, grands studios et plateformes.
Il nous suffirait d’imaginer, en France, une grève de l’ampleur de celle d’Hollywood pour nous rendre compte à quel point notre industrie a quasiment institué sa fragilité. Sans propriété intellectuelle à faire fructifier, sans possibilité de produire ses propres films sans argent extérieur ou presque. On voit bien qu’un destin à l’anglaise n’est qu’à un hoquet de l’histoire.