septembre 14

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Quel avenir pour les distributeurs de films?

Comment les distributeurs de films indépendants vont-ils trouver leur équilibre dans la nouvelle donne cinématographique ? Après les salles de cinéma, intéressons-nous à un autre pan de l'industrie sacrément secoué par ces derniers mois.

Le 21 janvier 2021, Screen Brussels, l'organisme de soutien à l'industrie cinématographique de la Région de Bruxelles-Capitale, organisait une vidéoconférence pour présenter ses résultats 2020. La conférence était suivie d'interventions de deux spécialistes scandinaves, Tomas Eskilsson et Johanna Koljonen.

A l'issue de ce Screen Brussels Talk, un distributeur de film posait cette question: "Quel avenir pour les distributeurs de films indépendants ?" Ce à quoi Tomas Eskilsson a répondu par un laconique: "ce sera dur".

Ce qui est vrai, mais ne répond pas vraiment à la question.

La distribution de films, une affaire de "vilains" gros sous

Osons une petite provocation.

Il est possible de produire pour moins cher. Il est aussi possible d'exploiter une salle pour moins cher. Mais est-ce que distribuer pour moins cher est vraiment possible ?

Avec tout le respect qu'on doit aux autres maillons de la chaîne de valeur, c'est au niveau de la distribution que se situe le risque financier. Si un producteur ne réunit pas les fonds pour lancer le tournage d'un film, il ne démarrera pas le chantier. Si un exploitant voit qu'un film ne rencontre pas le succès espéré, il a tout le loisir de le remplacer par un autre.

Le distributeur achète, voire pré-achète les films, investit dans la promotion, engage des attachés de presse. Bref, il prend des risques. Risques qu'il est le seul à supporter en cas d'échec.

La question qu'il faut se poser est donc la suivante. Il y aura toujours des films produits, et des salles pour les montrer. Mais y aura-t-il toujours des gens pour y investir, et avec quelle rentabilité?

Les distributeurs de films pris en ciseaux

Le paysage de la distribution va, lui aussi, être radicalement changé maintenant que cette crise semble derrière nous.

Les majors, qui traditionnellement tirent l'industrie à coups de blockbusters, ont presque officiellement lâché l'affaire pour se tourner vers le streaming. Disney joue toujours un petit pas de deux entre l'exclusivité salles et le streaming en day-and-date, mais avec une fenêtre de maximum 45 jours. Warner ne semble même plus se poser la question et est prête à tout pour booster HBO Max.

De l'autre côté, des plateformes "indépendantes" comme Netflix et Amazon draguent les grands auteurs et les jeunes réalisateurs prometteurs à coups d'accords de distribution globaux, soutenus pas des fonds inégalés.

La marge de manœuvre des distributeurs de films indépendants, qui gèrent de petits marchés, va s'en trouver réduite. L'équilibre entre "grosses machines" - à leur niveau - et films plus fragiles va être plus difficile à trouver.

Tout cela dans une économie où les sources alternatives de revenus (droits télé, Pay per View et évidemment DVD) se tarissent.

Le cinéma du milieu, toujours le coeur du débat

L'enjeu économique pour beaucoup de distributeurs indépendants est de garder une certaine place dans le créneau du film "moyen". Ces films loin d'être des blockbusters mais qui ont la capacité de dépasser leur seuil de rentabilité pour soutenir l'activité dans son ensemble.

C'est dans ce secteur que Netflix et Amazon, avant que d'autres n'entrent en jeu, mettent une énorme pression, en allant faire leur marché à Sundance ou chez les lauréats de Caméra d'Or à Cannes, par exemple.

Attaquer le problème en frontal en entrant dans la guerre des prix est, de facto, une stratégie perdante.

Il faudra trouver d'autres arguments.

Deux pistes de réflexion

Comment contrer son adversaire ? En attaquant son point faible. C'est aussi vieux que David et Goliath.

Le point faible des plateformes de streaming, c'est leur généralisme. Elles ont beau cacher cela sous la tarte à la crème de l'algorithmique, qui ferait magiquement remonter des contenus qui conviennent parfaitement à chaque consommateur, le fait est là : les plateformes sont un énorme bouillon d'où ne ressortent que les gros légumes.

Pour continuer à filer la métaphore, les films qu'elles achètent ne sont que les épices, et n'ont d'autre but que de donner un peu plus de goût à l'ensemble. Et cet ensemble est composé principalement de leur contenu propre.

Pour être plus concret, les plateformes n'investissent rien dans la promotion des œuvres qu'elles possèdent, si ce n'est dans leurs productions propres. C'est là où les "films du milieu" se trouvent devant un dilemme: signer un seul contrat, certes juteux, mais au détriment de la visibilité ou négocier territoire par territoire la distribution de leur film. Un processus plus pénible, moins sûr, mais qui leur assure la promotion de leur film.

L'alternative à cette force de frappe puissante mais aveugle ? La spécialisation. Et la fédération.

Posséder son audience n'est plus une option, c'est une nécessité

Qu'est-ce que cela veut dire de se spécialiser, pour un distributeur de films ?

Ce n'est pas seulement se focaliser sur un seul type de créations comme le documentaire, ou le cinéma d'animation pour enfants.

C'est avant tout être reconnu pour cela auprès du public. Ne pas "juste" être l'exploitant d'un créneau particulier du marché, mais un véritable militant d'une forme d'expression, d'un type de sujets ou d'une vision de l'industrie.

L'important est de construire son autorité auprès du public. Que celui-ci sache d'emblée, avant même de commencer la promotion d'un film en particulier, que ce film est intéressant. Juste parce que vous l'avez en catalogue.

En clair: il faut se construire une stratégie de marque.

Cependant, cela ne va pas soi et ne se décrète pas d'un claquement de doigts.

Il va falloir pour cela renverser totalement votre stratégie marketing. En termes de contenus, le centre de votre communication ne doit plus être vos films, mais votre entreprise elle-même. Ses valeurs, sa vision du cinéma. En termes stratégiques, vous devez capitaliser sur ... l'email.

L'email, c'est votre capital

Vous allez me dire "mais j'ai déjà 2.000, 5.000, 10.000 adresses dans ma mailing list, et ils ne me rapportent presque rien".

La vérité est que l'email, c'est comme le pétrole brut. Si vous ne le raffinez pas, vous ne pouvez rien en tirer. Vous devez affiner votre connaissance de vos abonnés, segmenter vos listes et surtout - sacrilège ! - régulièrement éliminer les adresses qui ne réagissent pas à vos messages.

Alors, oui, votre liste d'email sera beaucoup plus petite. Vous aurez l'impression de perdre en "reach". Mais la valeur de votre liste va exploser.

En clair, vous devez dès maintenant, vous équiper d'un CRM.

Pourquoi maintenant ? Parce que le monde du net est en train de changer, à nouveau. Pour un mieux.

Dès 2022, Google Chrome n'acceptera plus l'intégration des "3rd party cookies", c'est à dire les données collectées et gérées par les tiers, comme les réseaux sociaux. Et Chrome occupe 60% du marché des navigateurs.

Apple bloque désormais ces mêmes cookies sur tous ses appareils, mettant Facebook entre autres dans une situation délicate. Encore 20% du marché qui s'envole.

Google Analytics a commencé à fournir des données extrapolées des performances sur le net, puisqu'il devient incapable, grâce aux législations comme le RGPD, de collecter les informations avec autant de précision qu'avant.

En clair, toutes les données que vous ne collectez pas vous-même et que vous ne possédez pas en propre vont perdre de la valeur.

Posséder ses propres contacts, et ses propres données, n'est plus seulement une démarche plus éthique et qui vous donne plus de contrôle. Cela devient tout simplement une nécessité.

C'est tout simple: dans cette nouvelle donne, il faut posséder une communauté et savoir l'activer.

L'email et le CRM deviennent alors l'atout majeur de campagnes efficaces.

Vers une fédération des acteurs européens ?

Se distinguer, c'est bien. Encore faut-il avoir suffisamment de poids pour contrer l'autre force de frappe des plateformes: leur globalité.

Comme on l'a dit plus haut, entre signer un contrat global, bien payé, et se battre sur chaque territoire pour essayer d'y faire vivre son film, le choix des agents et des producteurs est parfois vite fait.

Fondamentalement, la question qui se pose ici est de savoir quel intermédiaire est le plus à risque dans cette nouvelle configuration. D'un point de vue commercial, l'alternative se pose de cette manière: vendre à une plateforme - quitte à garder son territoire pour y exploiter le film - ou passer par un vendeur international pour s'assurer une distribution sur un maximum de territoires.

Et donc, est-ce que ce n'est pas le métier de vendeur international qui est sur la sellette ?

Imaginons donc une industrie basée sur la connaissance plus fine d'un seul segment de marché. Des filières plus courtes ont alors toutes les chances d'être la norme. Des filières où des distributeurs partageant les mêmes publics sur leurs territoires entretiennent des relations privilégiées avec des producteurs, eux aussi spécialisés. Se créant alors une sorte de fédération de fait, où le maillon qui saute n'est pas le distributeur, mais le vendeur international.

Le net au secours du "vieux" cinéma

Reste cependant une question assez épineuse. La distribution des droits, les remontées financières, le nerfs de la guerre. C'est un processus complexe, un métier en soi qui demande de suivre des règles claires.

Sauf que, est-ce vraiment encore un métier?

Les protocoles blockchain explosent, et proposent à un rythme effréné des innovations en termes de gestion de la propriété et d'échange décentralisé. Les Smart contracts et la tokenisation offrent des moyens d'automatisation de la répartition des recettes de n'importe quelle transaction, qu'elle se fasse sur le net, ou physiquement.

Je reviendrai très prochainement sur les promesses, de plus en plus concrètes, de la blockchain pour l'industrie.

Pivot ! Pivot !

Comme le disait Tomas Eskilsson, l'avenir proche de la distribution cinématographique sera sans doute complexe. Mais il existe.

Il demandera, dans un premier temps, de non plus seulement connaître son public, mais de posséder un contact direct avec lui. Il demandera ensuite d'être plus spécifique, plus différenciant, plus identifiable.

Il demandera surtout d'être contre-intuitif. Ne pas avoir peur de toucher un public potentiellement plus petit, pour pouvoir grandir sur une autre base.


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