Depuis quelques jours, une campagne a été lancée publiquement. Pas une campagne de collecte de fonds. Pas une recherche de dons, ou un crowdfunding. Une campagne d’investissement collectif. Les personnes investissant dans cette campagne deviendront, de fait, copropriétaires d’une entreprise.
Il s’agit certes d’un investissement moins compliqué et moins opaque pour un novice que d’investir dans une banque coopérative. Mais cela reste un investissement qui d’une part ne vise structurellement pas à générer une plus-value, et est d’autre part soumise à des risques, comme tout investissement.
L’initiateur de cette campagne est une coopérative immobilière du nom de Supernova.
L’immobilier, nerf de la guerre
Pourquoi vous parlerais-je ici, dans une chronique dédiée à l’industrie du cinéma, d’immobilier ?
Parce que Supernova est une initiative du cinéma Nova. Celui-ci, actif depuis 26 ans au coeur de Bruxelles, a toujours fait figure de cas à part dans le petit parc de salles de la capitale.
A sa création, le Nova arrache en quelque sorte le lieu à la spéculation immobilière. Le bâtiment appartient à une banque, qui a son siège juste à côté. D’occupation précaire en occupation précaire, de propriétaire en propriétaire, le Nova arrive à se maintenir à flot, grâce à un loyer resté modéré au fil des années. Et à la vigueur d’une équipe bénévole, toujours sur le pied de guerre 26 ans plus tard.
Aujourd’hui, le Nova passe à l’étape suivante. Il a fondé cette coopérative Supernova pour devenir propriétaire de son bâtiment, l’arracher cette fois (presque) définitivement à la spéculation, qui ferait augmenter de manière insoutenable ses loyers, et ainsi assurer sa pérennité économique.
Cette aventure fait évidemment écho à celle du cinéma parisien La Clef, qui tente lui aussi de racheter le bâtiment pour continuer son activité. Et le Kinograph, autre exploitant au modèle coopératif, est lui aussi en attente d’une salle où pérenniser ses activités.
Un cinéma, une communauté
Mais par son histoire, maintenant longue, le Nova fait toujours office de précurseur, voire d’îlot au coeur d’une ville autrefois prisée pour son offre cinématographique inégalée.
C’est que le Nova revendique depuis ses débuts une pratique résolument underground.
Contrairement à d’autres salles, rien n’y est cadenassé, ni programmé. Le cinéma n’ouvre que du jeudi au dimanche (hors festivals), les séances sont souvent uniques, et on n’a aucune chance d’y voir le dernier blockbuster ou film d’auteur en date.
Ici, la programmation est thématique, plus ou moins mensuellement. Elle met en avant un sujet d’actualité ou des auteurs méconnus. Elle alterne séances, débats , concerts et soirées spéciales. En clair, elle sort de tous les canons de la saine gestion commerciale d’un cinéma.
Et, néanmoins, ça marche. Mieux, le Nova a réussi, bien avant les autres, le rêve de tout cinéma, qu’il soit de quartier ou de petite ville : agréger une communauté solide, fidèle et en constant renouvellement.
Il règne au Nova une ambiance digne du Berlin de l’après-Mur. Une vision décomplexée du cinéma, loin des rituels, et pourtant naturellement respectueuse. Un lieu d’activité culturelle et politique. Un lieu de militance vivante.
Le sens de la limite
Ne sanctifions pas non plus trop le lieu. Le gros de son public est composé de cette jeunesse bourgeoise qui se rêve subversive le temps de trouver à s’installer. Le lieu est alternatif, certes, mais pas populaire. Mais comment pourrait-il en être autrement, soyons honnêtes ?
Comment cette réussite peut-elle avoir lieu ? Tout simplement parce que rien, au Nova, n’est tourné vers le commercial. Au Nova, la règle n’est pas le toujours plus. C’est le juste assez.
Et cette campagne, même si elle manie des chiffres qui donne un peu le tournis - 494.000 € à réunir d’ici mars 2024, sur un total de près de 800.000€ - reste dans la même logique. En devenant propriétaire de ses murs, le Nova s’assure un loyer qui reste modéré, et lui permet de continuer ses activités au même rythme.
On pourrait bien sûr pinailler, comme certains le feront peut-être, en se disant que cette initiative ne crée presque pas d’emploi, puisque la grande part des travailleurs et travailleuses sont bénévoles. Mais, d’un point de vue de spectateur, ce lieu est unique. Et il ne pourrait tout simplement pas exister sous d’autres conditions.
Il s’agit, pour le coup, réellement d’une occupation. De la prise d’un espace pour lui garder une affectation culturelle. Et que cela passe par le cinéma, un art qui se consomme de plus en plus de manière individuelle, est une bouffée de fraîcheur dont on en devrait pas se passer.
Hormis son actualité, si je vous parle de cette initiative, c’est qu’elle représente l’exact pendant de ce dont on a parlé la semaine dernière, avec le phénomène Taylor Swift. Là où des multiplexes, pris à la gorge par la politique des studios, se rêvent en lieux d’événements communautaires, voire en salles de concert low-cost, le Nova est un lieu de vie communautaire qui se trouve être une salle de cinéma.
Politiquement, et donc économiquement, cela n’a rien à voir.
Une voie de l’avenir
Si le Nova démontre une chose, depuis son quart de siècle d’existence - et ce que poursuit le Kinograph, par ailleurs - c’est qu’il y a un avenir sans doute plus radieux pour l’industrie cinématographique dans un retour à un cinéma de quartier ou de petites agglomérations. Mais que cet avenir n’est envisageable que si on arrive à réduire drastiquement les charges d’exploitation. Dont l’une des plus lourdes, surtout dans des villes à forte pression spéculative, est le loyer.
Des villes comme Mons ou Nivelles ont déjà choisi la voie du rachat de bâtiment et du loyer modéré pour maintenir leur activité cinéma. Le Nova fait le même pari, en se basant sur l’épargne citoyenne.
Si l’on veut retrouver un maillage de salles correct, élément indispensable à un réel déploiement d’une industrie cinématographique locale, c’est ce genre d’initiatives qu’il faut soutenir. Et surtout multiplier.