Alors qu’une nouvelle onde de dénonciation des violences sexistes et sexuelles fait l’actualité, les débats ont à nouveau émaillé la Trêve des confiseurs.
On ne s’étendra pas sur la teneur de ces débats, et sa foule de cartes blanches sur fond de guerre de générations.
Mais derrière cette vague de mises en accusation de certaines grandes stars, une information a fait un peu moins de bruit.
Elle met cependant en lumière une problématique qui devrait être au centre des réflexions.
Le cas “Je le jure”
Cette affaire, c’est celle de Samuel Theis. Elle a eu un certain écho car Samuel Theis est l’un des acteurs du succès de cinéma d’auteur du moment, Anatomie d’une chute.
Mais Theis est aussi réalisateur, et c’est sous cette fonction que l’accusation est tombée, sur le tournage de son film Je le jure.
Theis est accusé d’avoir violé l’un des techniciens lors d’une soirée arrosée.
Voilà pour l’affaire. Inutile de s’étendre plus pour le propos que je veux tenir ici. Justice, présomption d’innocence, débat contradictoire, tout ça. Evidemment.
Ce sur quoi j’ai envie de m’étendre pour cette chronique, c’est la réaction de la société de production Avenue B. Car on a beau être très vigilants sur les cas d’agressions sexuelles, faire toute la prévention que l’on veut, il reste encore à traiter les cas quand ils surviennent.
Alors, qu’a fait la production ?
Procédure d’exception
Tout d’abord, elle a diligenté une enquête indépendante sur les faits, par un organisme spécialisé en droit social.
Mais, évidemment, cette enquête ne pouvait pas entrer en conflit avec les aléas techniques et financiers d’un tournage, qui devait absolument continuer, sous peine d’explosion du budget, qui aurait probablement coûté sa vie au film.
Décision a donc été prise de mettre Samuel Theis en confinement, séparé du reste de l’équipe pendant les 15 derniers jours de tournage, avec interdiction de son côté d’intervenir sur le plateau. Les membres de l’équipe qui le désiraient pouvaient par contre le rejoindre pour le consulter.
Cette décision a semble-t-il été accueillie de manière diverse par l’équipe. Mais son grand mérite est d’apporter une solution à un problème qui n’est pour l’instant pas posé. Comment, au-delà de la prévention, traiter les cas de violences sexuelles sur un plateau de cinéma ? Comment allier le temps d’une enquête, qui doit par définition respecter les droits de chacun, avec les exigences strictes d’une production ? Le tout, bien évidemment, en traitant le tumulte émotionnel qu’une telle affaire peut causer sur ce qui reste un lieu de travail ?
Si la réponse de la société de production semble être irréprochable compte tenu des circonstances, la productrice Caroline Bonmarchand a avoué avoir été complètement démunie face à la situation qu’elle avait à gérer.
Des protocoles à construire
De fait, il n’existe pas vraiment de protocole pour traiter les cas sur un tournage. Ce qui, en soi, est assez normal : chaque film est une structure en soi, en termes logistiques et surtout financiers.
Car, dans une certaine mesure, le cas Samuel Theis offrait au moins une facilité : l’accusé et la victime travaillaient derrière la caméra. Que se passera-t-il lorsque la personne accusée sera un comédien ou une comédienne ?
Que se passerait-il si tout le financement du film repose sur sa présence au casting ? Après tout, c’est le cas pour une part significative des films que nous tournons. Une grand part du financement vient de diffuseurs télé, qui ne seront bien souvent intéressés que si la présence d’un acteur ou d’une actrice “bankable” à l’affiche est assurée : un Frank Dubosc, un Dany Boon, une Catherine Deneuve, aujourd’hui peut-être une Laure Calamy. Ou un Gérard Depardieu.
Dans ces cas-là, que faire ?
Gérer le pouvoir
On pourrait citer le cas du film de Ridley Scott All The Money in the World, et son retournage en catastrophe des scènes impliquant Kevin Spacey, qui venait d’être accusé dans une affaire d’abus sexuel. Mais on parle là d’une décision prise pour des questions commerciales et d’image, par un grand studio, qui plus est.
Force est de constater que la question demeure donc, pour ce genre de personnes qui “font” qu’un film se monte financièrement ou non. Et cela explique en partie le silence autour de comportements de stars, qui ont peut-être été tolérées pendant toute l’existence du cinéma, mais qui sont devenues inacceptables depuis 30 ans au moins.
Le désormais fameux “c’est Gérard” qu’ont dû entendre une foule de travailleuses, porte en lui tous ces sous-entendus : on sait bien que c’est dégueulasse, mais si il n’est pas là, il n’y a pas de film, alors on laisse faire.
Le dilemme des producteurs
D’un point de vue de producteur, la question est pour ainsi dire insoluble. On peut bien évidemment éviter consciemment de travailler avec des personnes dont ce genre de comportement est avéré. On doit également travailler sur la prévention, sur la libération de la parole. Tout cela coule presque de source. Mais que faire quand, malgré toutes ces précautions, le cas concret se présente ? Quelles assurances seraient prêtes à couvrir ce genre de risque ? Quel financier serait prêt à comprendre l’arrêt, même momentané, d’un tournage ? Et le comportement d’une seule personne, aussi puissante soit-elle, a-t-il le droit d’impacter le travail - et donc la rémunération - de dizaines de personnes ?
Ce sont ces dilemmes qu’il va falloir aussi se poser, si on veut vraiment prendre à bras le corps les questions des violences sexuelles au cinéma.