Depuis le début de cette année 2025, le cinéma belge en prend à nouveau pour son grade. On avait déjà parlé du fantasme libéral autour de la culture. Et j’avais mentionné la carte blanche parue il y a deux semaines en réaction aux attaques en règle sur le cinéma belge francophone.
Carte blanche que j’avais - disclaimer - moi-même signée, énervé comme sans doute beaucoup d’autres signataires par la caricature crasse faite de cette industrie.
Et c’est vrai que tout cela ressemble presque à une attaque concertée. Ce qui est sans doute vrai du côté de ce qui reste du libéralisme éclairé, surtout du côté de ma bonne ville de Mons, d’où une petite armée de jeunes pousses inféodées au bateleur en chef a mené l’attaque au Gouvernement de la FWB sur la question de l’opportunité de financer un événement comme les Magritte.
Epidémie de facepalm
De son côté, le président du club de foot des Francs Borains a fait de la culture en général et du cinéma en particulier sa petite obsession du moment, faisant feu de tout bois pour limiter les budgets et placer ses affidés dans les Conseils d’Administration. Le tout avec une rhétorique qui a provoqué sa petite épidémie de facepalm.
Enfin, le journal l’Avenir a publié, au moment de ces mêmes Magritte, une longue analyse des travers de notre petit milieu du cinéma belge. Etendue sur 4 publications, rien que ça, elle reste très évasive sur les réalités de cette industrie, pour se concentrer plutôt sur les petites rumeurs de couloir, les rancœurs, les inimitiés et autres dégommages de présumés puissants.
Tout cela permet ensuite les petites séances de commentariat, dont cette interview lunaire du directeur du think tank libéral, et sosie démaquillé de Robert Smith, Corentin De Salle qui parle lui carrément de système féodal, et de large consensus pour condamner comment les deniers publics sont distribués dans le domaine culturel.
Mais, maintenant que la poussière retombe avant l’assaut suivant, on peut revoir avec un peu de recul la réelle teneur de ces attaques.
So 2003
D’un côté donc, le cinéma belge est décrit invariablement comme un cinéma élitiste, misérabiliste, qui traite toujours des mêmes sujets. Avec, en fer de lance, cette phrase déjà devenue célèbre de l’accapareur de micros : “ Donnez-moi une gopro et je vous refais Rosetta à Boussu”.
Bien sûr, quand on connaît les efforts qu’il faut déployer pour faire un film qui ait l’air naturaliste, pour reproduire une situation sociale qui semble avoir été prise sur le vif, ce genre de phrases de pilier de comptoir énerve, surtout venant de quelqu’un qui se veut responsable politique.
Mais d’un autre côté, qu’on en soit encore à critiquer un film qui a aujourd’hui 25 ans, qui a permis à ses auteurs - qui entretemps font des films tout de même fort différents - de faire partie des producteurs les plus en vue du continent, qui produisent des films flamands, anglais, roumains ou français même des films pour Netflix. Films qui se retrouvent ensuite non seulement à Cannes, mais aussi aux César et aux Oscars, avec qui plus est un résultat plus que significatif au Box Office, on se dit que le cadre de pensée du monsieur est “so 2003” …
Qu’on en soit, aussi, encore à penser que toutes les aides sont forcément du copinage. Que, comme le dit la Vice-Présidente de la Fédération Wallonie-Bruxelles : “L’Etat ne doit pas imposer sa vision de l’art”, on se dit que ces gens n’ont pas entendu parler du décret de nouvelle gouvernance culturelle, qui date pourtant de 2019, époque à laquelle ils n’étaient plus, à ce que je sache, des adolescents boutonneux. Et que donc, depuis 5 maintenant, le législateur a devancé leurs rêves les plus fous, en soumettant le choix des aides et subventions à accorder à des comités d’experts indépendants.
Les acharnés
Enfin, que l’on s’attaque à la Cérémonie des Magritte au moment même où beaucoup s’accordent à dire que l’institution a rendu de fiers services à une industrie en pleine éclosion, mais qu’elle a aujourd’hui peut-être fait son temps, en tout cas sous sa forme actuelle, cela donne juste le sentiment de s’acharner sur la carcasse d’une ambulance.
Au moment où le cinéma belge francophone - ou du moins son industrie - a gagné sa place sur le marché international de l’audiovisuel, au point qu’il serait temps - comme je le répète souvent ici - qu’il se recentre un peu sur ses talents et son marché national, toutes ces attaques semblent d’autant plus d’arrière-garde.
Alors, bien sûr, on ne peut non plus pas tout voir en rose. Les accusations d’entre-soi, même si mal dirigées, ne sont pas non plus totalement infondées, comme je l’ai moi-même souligné plusieurs fois dans ces chroniques. Mais il s’agit plutôt d’un entre-soi social, qu’a encore récemment relevé avec maestria la réalisatrice Paloma Sermon-Daï. Alors que, pour sa grande majorité, ces accusations d’entre-soi sont encore souvent portées par le même camp social que ceux qu’ils critiquent.
Bien sûr, tant que la reproduction sociale continuera de se reproduire autour de verrines de quinoa et de kombucha parfumé à l’hibiscus, le cinéma prêtera toujours le flanc à la critique. Et il sera difficile de ne pas lui donner raison.
Arrière-garde critique
Mais notre petit cinéma est aussi en train de changer. Ses marges frétillent. Ses - encore timides - succès commerciaux donnent des envies d’ailleurs On voit les ambitions grandir.
Et donc, voyons les choses positivement. Que ces contempteur du cinéma belge continuent à taper sur même le clou rouillé avec leur même vieux marteau. Chaque fois qu’un nouveau film belge sortira, chaque fois qu’une coproduction raflera les prix et les succès au box office, l’écart entre ces vieilles lunes qu’on entend depuis 30 ans sur notre cinéma et la réalité de ce qu’il est aujourd’hui n’en sera que plus frappant.
Et le public belge francophone, qu’on dit tant en froid avec son propre cinéma, verra alors, par contraste, la richesse et la diversité de l’offre existante. Et surtout, de celle en préparation.
Pour tout cela, peut-être que ces critiques d’un autre âge sont la meilleure chose qui peut arriver à notre cinématographie. Et qu’on a envie de dire que si c’est tout ce qu’ils arrivent à enfiler comme arguments alors, vive le bashing du cinéma belge.