27 Avr 23

Cinéma flamand : Vlaanderen Boven

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Les mois de mars et avril, dans le cinéma belge et ailleurs, est l’heure des bilans des organes chargés du soutien à l’industrie du cinéma. Des bilans remplis de chiffres, d’analyses, de tendances. Mais c’est aussi le moment pour ces organismes de souffler dans leur trompette. De montrer à quel point leur action est structurante. Et elle l’est, indéniablement.

Ces bilans, cependant, montrent des différences radicales entre le Nord et le Sud de notre pays. Pour cette chronique, je vais tenter de faire un petit comparatif.

Vent du Nord

On le sait, l’année 2022 a été exceptionnelle pour l’audiovisuel flamand. Il y a eu la reconnaissance cannoise pour les films de Lukas Dhont et de Felix Van Groeningen et Charlotte Vandermeersch. Surtout, il y a eu l’énorme succès de Zillion, de Robin Pront, dont je parlais il y a quelques mois. Ce seront en tout près de 600.000 flamands qui auront été voir le film. 1 flamand sur 10.

Or, ces incroyables succès sont de très gros arbres qui cachent la forêt.

Dans le communiqué de presse annonçant son bilan, la VAF, le fonds d’aide au cinéma flamand claironne que ce sont pas moins de 1.8 millions de places qui ont été vendues en 2022 pour des films flamands. 1,8 millions. Plus d’un flamand sur quatre a été voir un film flamand au cinéma. Ca fait rêver de ce côté-ci de la frontière linguistique.

Et que l’on ne croie pas que cette année fait exception. Elle est plutôt dans la moyenne basse des 15 dernières années, si on exclut les années COVID… pendant lesquelles malgré tout 500.000 places ont été vendues pour des films flamands !

Docu, cinéma d'auteur, cinéma populaire

Parmi les films à succès de cette année le documentaire “Onze Natuur, de Film”, qui mériterait à lui seul une chronique tant son modèle de marketing est intéressant. La VAF annonce que 245.421 personnes se sont déplacées pour aller voir ce documentaire animalier. Plus que pour Close.

Le top 3 des films flamands comptabilise donc plus d’1 millions de spectateurs, là où le même top 3 francophone en a réuni 165.000 sur son territoire natif.

Et le secteur des séries n’est pas en reste, avec une audience cumulée de 157 millions de spectateurs. Avec la série Chantal pour la VRT qui a touché 1.3 millions de spectateurs, quand la série Lost Luggage pour VTM a atteint près d’un million de téléspectateurs. Et ces chiffres ne concernent que la télévision linéaire !

La recette du succès ?

A quoi doit-on ce succès populaire ?

A la conjoncture, sans doute. Une accumulation de succès tels que ceux-là, dans une industrie aussi incertaine que l’audiovisuel, n’a lieu qu’une fois tous les dix ans. Mais l’ampleur de ce succès ne peut pas venir du seul facteur chance.

Explorons donc à quoi ressemble le paysage audiovisuel flamand. Et plus particulièrement à ce qui nous intéresse le plus : le cinéma. Prenons les choses à l’envers en commençant par le parc de salles. Statbel, l’organisme de statistique de l’état fédéral recense chaque année le nombre de salles et d’écrans dans chaque région du pays.

Les derniers chiffres disponibles, ceux de 2021, comptabilisent 75 établissements de cinéma en Belgique, dont 33 sont situés en Flandre, 7 à Bruxelles et 35 en Wallonie. Mais si on regarde le nombre d’écrans, La Flandre en compte 224, la Wallonie 174 et Bruxelles 68. Le parc de salles flamandes est donc constitué principalement de mini ou multiplexes. Seuls 2 établissements ne comptent qu’une seule salle, contre 13 en Wallonie.

On doit voir là, à n’en pas douter, l’effet de la plus grande concentration démographique de la Flandre par rapport à la Wallonie. Et, en conséquence, des zones de chalandise plus larges, qui favorisent l’exploitation de plusieurs écrans.

Cette structuration a, néanmoins, un effet direct sur la diversité. Plus d’écrans pour une même exploitation veut dire plus de films proposés en même temps. A une époque où l’offre de films porteurs a été au moins partiellement asséchées par la guerre du streaming, les salles se tournent plus facilement vers la production locale.

La distribution et la production

Encore faut-il que l’offre suive. La Flandre se distingue aussi par une plus grande diversité de son secteur de la distribution. Elle va de KFD, la branche distribution du groupe Kinépolis à Dalton, spécialisée dans le documentaire. En passant par Paradiso Filmed Entertrainment ou bien sûr Lumière, le distributeur de Girl et Close. Tout le spectre du marché, du film populaire au cinéma d’auteur, est couvert.

Si je cite exclusivement ceux-là, c’est que tous - Lumière dans une moindre mesure - se concentrent principalement sur la marché flamand, et sur la production locale. Bien sûr, cela existe aussi chez nous. Des distributeurs comme O’Brother ou le Parc Distribution pour ne citer qu’eux ont principalement des productions locales dans leur line-up. Mais pas ou peu de films populaires.

Ce qui nous amène à la production. Car pour proposer des films variés, encore faut-il qu’il y en ait à proposer. C’est d’ailleurs ce qui frappe dans les chiffres donnés par la VAF. Les trois plus gros succès flamands de l’année ont des profils très variés : un presque blockbuster, Zillion, un pur film d’auteur, Close et ce donc fameux documentaire animalier, Onze Natuur. Et, ça vaut la peine de le signaler, aucune comédie, considéré en tout cas par chez nous comme le genre populaire par excellence.

Comment cela est-il possible ? Comment une telle diversité de l’offre rencontre-t-elle son public sur un si petit marché ?

Particularisme flamand ... ou francophone ?

Il y a un chiffre, donné par le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel de la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui peut nous mettre sur la voie. Celui des investissements en Tax Shelter. Sur les 157 millions d’euros levés en Tax Shelter en 2022, 97 l’ont été pour des oeuvres agréées par la partie francophone du pays, soit les 2/3 des investissements.

Aucun secret là-dedans, une grande part de cette distorsion vient du fait que de nombreuses productions françaises, avec une production minoritaire belge, font appel au système. Une grande part de ce qu’on pourrait appeler la malédiction du cinéma belge francophone tient dans ce deuxième adjectif : francophone.

Nous sommes, il faut bien le reconnaître, une industrie vassalisée. Dans les faits par la grosse part de coproductions minoritaires avec la France, qui fait apparaître la Belgique comme un guichet régional français supplémentaire.

Mais aussi et peut-être surtout par le poids culturel de notre grand voisin. Ne nous voilons pas la face. Aucun film produit cette année sur notre territoire ou presque n’a été pensé, produit et réalisé pour son marché local. L’imaginaire cinématographique wallon et francophone est tourné vers Cannes, vers les salles et la presse parisiennes. Pas vers son propre marché. Le Centre du Cinéma lui-même s’évertue à communiquer sur les résultats français de nos films. Faute de mieux peut-être. Mais aussi parce qu’inconsciemment nous nous considérons comme une succursale de la France.

Introuvable "ancrage belge"

Si bien que le célèbre “ancrage belge” qui est sensé être le point de focalisation de notre cinématographie est très difficile à trouver dans les films considérés comme les plus emblématiques de l’année, ceux primés aux Magritte par exemple. Bien sûr, cette cérémonie n’est pas le cinéma, mais elle reflète à tout le moins l’état d’esprit de notre propre industrie, puisque c’est elle qui élit les films. Y trouver de la belgitude, pour reprendre une expression elle-même très franco-centrée, est devenu un travail d’entomologiste.

Oui, mais est-ce que c’est si grave, me direz-vous ? Oui, quand-même, pour plusieurs raisons.

D’abord parce que nous prenons à l’envers la logique du glocal qui est, quoi qu’on puisse en penser, la base d’une industrie saine. Soit un ancrage local fort mais aux thématiques hautement exportables. Penser au marché domestique d’abord, avant les prix dans les festivals prestigieux. On le voit depuis plus de 20 ans, un prix ou une présence en festival, même les plus prestigieux ne garantit plus le succès d’un film.

Le regard tourné vers la France

Ensuite parce que notre industrie souffre toujours plus d’une cannibalisation par la France. Pour reprendre le palmarès des Magritte, une grande part des films primés sont en fait français, flamands, ou belges francophones uniquement par leur financement. La fuite des cerveaux reste endémique (pensons à Virginie Efira, certes encore belge sur son passeport, primée pour son rôle dans un film français). Et c’est ainsi que notre industrie peine à se structurer, faute d’une réelle indépendance. Cette indépendance ne doit certes pas être financière. Mais au moins dans ce qu’elle dit, raconte, de notre pays. Un cinéma indépendant est un cinéma qui s’adresse d’abord aux spectateurs de son territoire. Or, qui fait des films en pensant au spectateur du Patria à Virton, à celui du Quai 10 à Charleroi ou du Ciné 4 à Nivelles ?

Les trois films flamands cités au début sont donc très différents l’un de l’autre. Mais il y a une chose qu’on ne peut leur enlever : ils sont tous trois immédiatement reconnaissables comme belges.

Tout cela est bien beau, mais à qui la faute ?

A personne en particulier. Et donc à tout le monde.

Une question de structure ...

Le cinéma flamand, c’est peut-être sa chance, n’avait pas d’autre choix que de se focaliser sur son marché local. Sa langue ne lui ouvre qu’un auditoire de 18 millions de spectateurs potentiels si on compte la Hollande - dont le marché est d’ailleurs moins poreux avec la Flandre qu’on pourrait le penser. La Flandre a dû, j’ai presque envie de dire à la force du poignet, se créer son marché, son industrie. Cela ne s’est pas fait du jour au lendemain. Cela fait plus de 30 ans maintenant qu’elle s’est créé petit à petit son propre star-system, ses champions industriels comme Studio 100. Qu’elle a copié le modèle danois pour la production de ses séries. Et j’en passe.

Aujourd’hui, son parc de salles est adapté à l’offre qu’elle peut fournir. Les programmes de flux de ses télés entretiennent le vedettariat et ce qu’elle produit va du film pour enfants populaire à Torpedo, cet étonnant blockbuster de guerre, sorti en 2019 une fois encore dans l’indifférence totale de la Wallonie, bien que coproduit par le fleuron de nos producteurs régionaux.

... mais pas seulement.

C’est donc à une vraie structuration du marché, de la production à la promotion, que s’est attelée la Flandre. Elle y est allée de force, ce qui n’est pas vraiment le cas chez nous. Elle a été largement aidée autant par sa structuration institutionnelle que par les télévisions, en besoin de star-system et de production propres.

Toutes choses qui se mettent en place, doucement, chez nous aussi. Reste qu’il faudra pour cela avoir l’envie de produire, distribuer, diffuser des oeuvres en ayant le public local à l’esprit. Cela peut se guider via les institutions, mais cela ne se commande pas.

Peut-être le succès des séries du cru ouvrira-t-il cette brèche.


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